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Guadeloupe-Martinique: Marxisme d'hier et d'aujourd'hui
- Presses de l'Université du Québec
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GUADELOUPE-MARTINIQUE : MARXISME D’HIER ET D’AUJOURD’HUI Philippe Alain BLÉNALD La Guadeloupe et la Martinique n’ont pas échappé, loin s’en faut, à l’extension internationale des idées marxistes. La pénétration et le développement du marxisme y résultent de la combinaison de facteurs particuliers qui, d’ailleurs, expliquent l’originalité de ses formes d’expression. Cependant, au fond, le cas des Antilles sous domination française révèle de façon symptomatique l’ambiguïté qui régit, à l’intérieur du champ théorique marxiste, les relations entre question sociale et question nationale. Dans cette optique, deux phases doivent être discernées : d’abord celle des origines qui correspond à l’introduction et à la vulgarisation du maxisme et durant laquelle, paradoxalement, les forces s’en réclamant formuleront des revendications politiques tournant carrément le dos à la décolonisation, au droit à l’autodétermination des peuples coloniaux ; et puis la période contemporaine, ouverte en 1946, indiscutablement dominée par la prise en compte et l’activation de l’aspiration nationale. LE MARXISME DES ORIGINES Possessions françaises depuis le XIXe siècle, la Guadeloupe et la Martinique vont, en raison de leur mode de développement capitaliste dépendant et de leur mode d’oppression colonial, fournir un terrain naturellement propice à la fermentation du marxisme. Il importe toutefois de noter que, durant cette première période, le marxisme opérera, dans le cadre des formations antillaises, comme un instrument d’émancipation sociale mais aucunement comme moteur de la libération nationale. Le marxisme comme expression des aspirations prolétariennes Les colonies antillaises sont originellement inféodées, incorporées au capitalisme français. Comme dans presque toutes les Caraïbes, dès la 332 UN SIÈCLE DE MARXISME phase d’accumulation primitive du capital, la colonisation des Antilles se traduit par la destruction de l’économie précolombienne, l’introduction et la prédominance d’un système de production marchande basé sur l’esclavage, exclusivement subordonné aux intérêts métropolitains1 . Avec la révolution industrielle et l’abolition de l’esclavage en 1848, la Guadeloupe et la Martinique, sans rompre le cycle de la dépendance vis- à-vis de la métropole française, entrent dans une ère nouvelle chaque jour plus étroitement conforme aux lois de fonctionnement du mode de production capitaliste. Une telle évolution aboutit, en gros, à la double métamorphose, d’un côté, de la classe des planteurs esclavagistes en classe de capitalistes propriétaires des usines, des terres et des grands établissements commerciaux ; de l’autre, de la classe des esclaves en classes prolétarienne et semi-prolétarienne assujetties à l’oligarchie capitaliste. La lutte qui découle de la structure de classes ainsi recomposée s’avère d’autant plus âpre que les antagonismes générés par l’extension des rapports capitalistes se surimposent à des tensions encore vivaces de la période esclavagiste. L’enjeu politico-culturel de l’affrontement qui oppose, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la population de couleur à l’aristocratie des Blancs créoles est de taille : l’ordre social continuerat -il à être régulé par des normes ségrégationnistes raciales comme au temps de l’esclavage ou, au contraire, sera-t-il réorganisé suivant les principes de l’égalité civique entre les races ? Sur le plan strictement économique, l’accumulation du capital au profit de l’oligarchie procède de la surexploitation forcenée de la force de travail, mouvement qui se traduit par un appauvrissement relatif, et souvent absolu, des masses laborieuses et qui affecte aussi bien les ouvriers des champs ou de la ville que la petite paysannerie. À l’articulation des XIXe et XXe siècles, le mouvement ouvrier en tant que force revendicative anticapitaliste autonome prend corps et s’organise2 . Les premières structures syndicales germent, fécondées par l’idéal socialiste. Symboliquement, c’est au début du siècle, soit en 1900, que se déroule en Martinique la première grève de grande ampleur ; pas moins de neuf ouvriers agricoles, mortellement fauchés par les balles des gens d’arme, payent de leur sang un tribut devenu presque rituel à la lutte revendicative de classes. L’emprise du socialisme sur les masses populaires s’étend si vite que, durant les années 1890, se constituent aux Antilles des sections locales du Parti ouvrier français. Le début de...