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Gorbatchev, les ouvriers et la perestroïka
- Presses de l'Université du Québec
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GORBATCHEV, LES OUVRIERS ET LA PERESTROÏKA Luc DUHAMEL Gorbatchev n’a pas touché aux acquis fondamentaux de l’ouvrier. Il tient toujours aux deux principales mesures adoptées après la Révolution d’octobre 1917 : la sécurité d’emploi et une mobilité sociale élevée, le Parti communiste recrutant ses cadres en milieu ouvrier. D’autres dimensions de l’État-providence, telle une allocation des logements qui tende à favoriser certaines catégories de travailleurs, restent intactes. LA PERESTROÏKA COMME NOUVELLE RÉVOLUTION OUVRIÈRE ? L’ouvrier a vu sa situation s’aggraver au cours des dernières années de pouvoir de Brejnev. Il a réagi à cela par une délinquance accrue. Une délinquance qui s’exprime sur les lieux de travail par un je-m’enfoutisme amplifié malgré les continuelles tirades des représentants du pouvoir pour élever la productivité. Récemment le niveau de vie s’est peu élevé ; l’État lui en donnant de moins en moins, le travailleur n’en fait pas plus qu’il ne faut. Plus fréquents sont l’absentéisme et le changement d’un d’emploi à un autre. Des phénomènes tels le vol (dans l’entreprise) et l’alcoolisme, qui expriment davantage un refus de la réalité qu’autre chose, ont pris ces dernières années des proportions alarmantes. Mais, la résistance ouvrière ne prend pas uniquement des contours apolitiques, on ose parfois s’en prendre au pouvoir, quitte à subir sa répression, en déclenchant des grèves. À la mort de Brejnev, les ouvriers n’en sont pas rendus à vouloir un soulèvement, mais ils sont devenus moins coopératifs que jamais avec le pouvoir. Il faut faire quelque chose. Ainsi que L. Schapiro et J. Godson l’ont relevé, le niveau de scolarité du Soviétique moyen, qui n’a cessé de s’élever à l’époque de Brejnev, a aussi fortement accru ses attentes1 . En 1980, beaucoup plus de jeunes ne peuvent entrer à l’université qu’en 1970. Ceux qui sont refusés dans les établissements d’éducation supérieure s’inscrivent dans les instituts techniques aux fins d’y acquérir un métier. Les futurs ouvriers ont l’impression d’être aussi capables que les cadres et ne veulent pas d’un statut matériel qui leur soit 220 UN SIÈCLE DE MARXISME inférieur. Les considérations nationalistes ne sont pas absentes de l’attitude des dirigeants actuels. Il faut sortir de la stagnation dans laquelle s’enlise le pays, sinon le retard continuera d’augmenter par rapport aux les États-Unis, le pays avec lequel on a pris l’habitude de se comparer. Même à l’intérieur du monde communiste, le leadership de l’URSS s’affaiblit. Le Parti communiste en Chine s’est lancé dans des réformes hardies depuis quelques années. Dans ce pays, le système de candidature unique lors de la désignation d’un responsable a été aboli. Les citoyens peuvent élire un candidat qui n’est pas recommandé par le Parti. Mais un taux de croissance économique largement supérieur à celui de l’URSS, davantage que la démocratisation qui y a cours, semble le résultat le plus susceptible d’exercer un attrait sur les autres pays socialistes. L’URSS en est arrivée à tirer de l’arrière à l’égard de sociétés considérées encore récemment comme étant sous-développées. Elle ne soutient pas la comparaison dans des domaines d’avant-garde de l’économie avec Taïwan et la Corée du Sud qui produisent des ordinateurs et qui possèdent une réputation enviable sur le marché mondial. Il y a de quoi inquiéter. La classe ouvrière s’est vu assigner une rôle crucial dans la perestroïka. Gorbatchev est, avant tout, ne l’oublions pas, le dirigeant d’un Parti communiste dont la légitimité est basée sur la direction qu’il exerce dans le pays au nom des ouvriers. Toutes les réformes ne sauraient aller loin si elles sont boudées par cette classe majoritaire dans la société et de tous les groupes sociaux, probablement la plus fiable. Ne voyons pas un hasard dans le fait que la démocratisation a commencé dans les usines, plutôt que dans les soviets ou les organisations sociales, davantage sous l’influence des intellectuels, en général plus...