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Polany, sur Marx et le marxisme
- Presses de l'Université du Québec
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POLANYI, SUR MARX ET LE MARXISME Textes inédits de Karl POLANYI (1886-1964) Présentation de Marguerite Mendell Les textes qui suivent sont des morceaux choisis de Karl Polanyi tirés de deux essais non publiés de l’auteur, The Christian Left Study Circle et Christianity and Economic Life1 . Encore inédits, ces documents d’archive ont une grande valeur historique. Très représentatifs selon nous de la pensée de Polanyi sur Marx et le marxisme, ils témoignent aussi de l’influence considérable qu’exerça ce dernier sur l’évolution de son œuvre et le développement de sa philosophie sociale. Aussi, chaque fois que cela nous semblait opportun, nous faisons référence en notes aux autres travaux de Polanyi. Nous soulignons également à quelle occasion et comment les thèmes abordés seront repris et développés dans les écrits ultérieurs de ce dernier. The Christian Left Study Circle et Christianity and Economic Life ont été écrits en grande partie entre 1933 et 1946. Karl Polanyi se trouvait alors en Grande-Bretagne. Resituons le contexte. La publication en 1932 des premiers écrits de Marx (édition S. Landshut et J.R. Meyer) suscita en Grande-Bretagne un vif intérêt, particulièrement chez les socialistes chrétiens qui y trouvèrent le cadre à la fois théorique et historique d’un projet de société socialiste fondé sur les valeurs morales chrétiennes. Plusieurs groupes d’étude furent alors constitués et de nombreuses conférences furent organisées. Ces activités allaient être l’occasion pour les chrétiens de gauche de se regrouper et de créer en 1936 une association qui devait prendre le nom de « Auxiliary Christian Left »2 . Les nombreux écrits qui nous restent de cette période montrent que Polanyi participa activement à ces débats. Cette période constitue un point tournant dans son œuvre et le développement de la pensée sociale de K. Polanyi. Qu’il s’agisse des textes du Christian Left Study Circle ou des autres écrits de cette époque, tous témoignent de l’intérêt de Polanyi pour les écrits« de jeunesse » de Marx et de l’influence qu’aura celui-ci sur ses propres écrits, en particulier sur The Great Transformation. Comme de nombreux intellectuels socialistes venant d’Europe centrale, Karl Polanyi avait rejeté quelques années auparavant le déterminisme marxiste pour se tourner plutôt vers le positivisme et vers les auteurs qui, comme Ernst Mach ou Richard Avenarius, défendaient 118 UN SIÈCLE DE MARXISME une conception positive de la science3 . Le rejet du matérialisme historique (ou les rapprochements entre Marx et Kant qu’avait tenté d’opérer l’école marxiste austro-hongroise) s’inscrivait alors dans une perspective plus générale de rejet, au nom de la méthode expérimentale, de toute philosophie ou de tout paradigme qui se voulait construit sur le raisonnement a priori. Dans un article publié à la fin des années 1950 et qui est pour lui l’occasion de réévaluer son engagement politique dans la Hongrie de sa jeunesse, Polanyi rappelle à quel point le marxisme était alors durement attaqué non seulement pour sa théorie économique apparemment erronée mais aussi pour une praxis politique, qui accordait bien peu de place aux intérêts de la paysannerie dans la Hongrie féodale de l’époque4 . Polanyi redécouvre donc Marx. Et pourtant, même si cela peut sembler paradoxal à première vue, cette redécouverte de Marx ne constitue pas une volte-face, mais plutôt un moment important dans le développement d’une pensée scientifique et socialiste. Cela conduira Polanyi à revenir au marxisme dans les années 1920 pour y rechercher un modèle d’économie socialiste où les rapports entre les hommes seraient directs, personnels et transparents tout comme, quelques années auparavant, il avait été conduit à rejeter celui-ci pour les raisons susmentionnées. La réponse à ses interrogations, Polanyi les trouvera dans le chapitre premier du Capital, comme il l’écrira dans Christianity and Economic Life. La théorie du fétichisme de la marchandise constitue pour Polanyi l’idée maîtresse de l’analyse que fait Marx de la société capitaliste. Le fétichisme de la marchandise allait permettre à Marx d’expliquer l’origine de l’exploitation à l’intérieur du prœessus de production capitaliste. Mais à la différence...