La femme de l'organisation

Des organisations et des femmes

DES ORGANISATIONS ET DES FEMMES Claudine Baudoux Université Laval Depuis plusieurs années, le taux de féminisation des postes stratégiques des organisations est pratiquement stagnant. Par exemple, en éducation il est en diminution constante et de toute façon toujours inférieur à la situation qui prévalait avant les années soixante alors que les religieuses et les laïques occupaient plus de la moitié des postes de direction dans ce domaine. Je vais tenter de cerner, ce qui, dans l’articulation des stratégies1 des femmes vis-à-vis de la technocratie des organisations, ainsi que dans les caractéristiques mêmes des organisations, peut expliquer ce phénomène d’exclusion. J’aborderai cette problématique au moyen de l’archétype du jugement de Salomon. Ce célèbre jugement à l’ère du triomphe du patriarcat2 , met en scène un rapport de force dans lequel les femmes protagonistes expriment deux types de valeurs sous-tendues par deux types de stratégies. 1. Selon Françoise Battagliola, le terme de stratégie peut ne pas connoter « un sujet soumis à une pure rationalité et mettant en œuvre des moyens pour atteindre un but clairement défini ». Voir BATTAGLIOLA, F. (1985). Insertion professionnelle et mise en couple. Position et stratégies des hommes et des femmes, in Temps sociaux. Trajectoires selon le sexe. Paris : CNRS, Atelier Production/Reproduction, Cahier n° 2, mai, pp. 87-99. 2. BADINTER, E. (1986). L’un est l’autre. Paris : Odile Jacob. Rappelons que le patriarcat est une forme de famille fondée sur la parenté masculine et la puissance paternelle, ainsi que toute structure sociale qui prend sa source dans le pouvoir du père. 16 LA FEMME DE L’ORGANISATION Il propose comme modèle de sagesse l’autorité patriarcale qui, pour connaître la vérité, menace de découper un être humain. Par la suite, je montrerai que les femmes, en majorité absentes des postes supérieurs se définissent — ou refusent de le faire — par rapport à l’accès à la sphère décisionnelle qui est essentiellement masculine. À partir de la position du refus de participer à ce type de pouvoir, une proportion des femmes est éliminée des postes hiérarchiques et les autres sont positionnées différemment selon leurs représentations des rapports idéaux femmes/hommes qui devraient exister dans les organisations publiques. Ces organisations, bureaucratiques à la base et technocratiques au sommet, seront abordées dans la deuxième partie. En effet les caractéristiques du modèle bureaucratique et technocratique, loin d’être neutres, ont été créées par des hommes et à leur avantage, pour éloigner ou tenir éloignées systématiquement, très souvent de façon masquée, les femmes désireuses d’accéder au pouvoir. LE JUGEMENT DE SALOMON L’un des plus célèbres jugements, sinon le plus célèbre, est le jugement de Salomon. Citons la Bible3 : Dieu donna à Salomon la sagesse, une très grande intelligence et un esprit d’une étendue aussi vaste que le sable du rivage. Sa sagesse surpassait celle de tous les Orientaux et toute celle de l’Égypte. Il était le plus sage de tous les hommes. Parmi les trois mille sentences qu’il a prononcées4 , le roi Salomon rendit un jugement cité en exemple5 . Deux femmes, ayant vécu ensemble sans mari (donc en dehors de la présence quotidienne de l’autorité patriarcale), se présentent devant le roi Salomon (détenteur du pouvoir légal exercé sur la collectivité) afin qu’il règle leur différend. Ayant accouché toutes deux à trois jours d’intervalle, l’une d’elles ayant accidentellement étouffé son enfant l’échange pendant la nuit contre celui de l’autre femme qui ne veut pas reconnaître comme sien l’enfant mort. Rien dans la Bible ne nous indique les motivations réelles des deux femmes. Il est toutefois intéressant de noter que ce n’est pas une fille qui 3. La Sainte Bible. (1966). Version établie par les moines de Maredsous, Paris : Brepols, p. 352. 4. Ibid., p. 352. 5. Ibid., p. 350. DES ORGANISATIONS ET DES FEMMES 17 est réclamée, mais bien un fils, quelqu’un qui pourra dorénavant subvenir aux besoins de sa mère. Cet enfant a donc une valeur, un prix. Les motivations de la femme qui a échangé les enfants...