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CHAPITRE 4 Un L, deux LL, ou pas de L du tout ? Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de constater que la variété officielle de la langue (aussi appelée langue standard, ou normative) vise toujours à être égale à elle-même ; une des façons de réaliser cet objectif consiste pour elle à garder une forme de prononciation unique pour chaque mot quelles que soient les circonstances. La langue courante, au contraire, accepte bien de s’adapter à différents contextes, et fait facilement varier la forme d’un mot ou de toute une classe de mots, non pas au hasard ni par pure fantaisie, mais selon des lignes de conduite qu’elle se fixe elle-même et qu’elle suit avec cohérence. Un bel exemple nous est donné dans une expression aussi simple que à la maison. La langue standard dira toujours et seulement à la maison, mais la langue parlée courante offre le choix de dire à la maison ou à a maison. Autrement dit, un mot comme la peut perdre son l dans certaines circonstances ; il vaudrait la peine d’examiner à quelles conditions peut se faire ce choix, car elles sont révélatrices de plusieurs aspects cachés du langage. À ce compte-là, bien entendu, les l dont il est question dans le titre du chapitre visent la prononciation réelle et non pas l’écriture. 1. Qui au juste perd son 1 ? 1.1 Pourquoi la plutôt qu’un autre ? Il faut bien dire que si la est un mot tellement court (il n’a que deux sons, qui s’écrivent avec deux lettres), ce n’est peut-être pas un hasard. Bien sûr, beaucoup de mots peuvent être courts, mais pour un mot comme la, sa 68 Nos façons de parler : les prononciations en français québécois brièveté correspond en même temps avec le fait qu’il n’a pas beaucoup d’autonomie. Il s’agit de ce qu’on appelle un article, une espèce de mot qui n’existe pas tout seul dans le discours, mais dont l’existence se justifie par le fait qu’il accompagne un nom. Sa présence est absolument nécessaire, à tel point que les cas sont très rares en français actuel où un nom se rencontre sans l’article qui est en quelque sorte son garde du corps : dans la langue courante, on ne peut jamais dire des choses comme *Pomme est rouge ou * J’ai mangé pomme ; il faut obligatoirement dire La pomme est rouge et J’ai mangé la pomme. Bien sûr, la même chose vaut pour les autres articles (le, les, un, une, des et d’autres encore), et pas seulement pour la. Autrement dit, la peut perdre son 1 d’autant plus facilement qu’il a déjà le statut mineur, un peu marginal, d’un mot complètement dépendant d’une autre espèce de mot. Les mots plus indépendants, qui ont une large autonomie, comme les noms, les adjectifs, les verbes, n’ont pour leur part que très peu de chance de perdre un l ; calendrier, malade ou aller, par exemple, se disent toujours avec leur l (peu importe s’il s’écrit « l » ou « ll »), et on n’entend presque jamais des choses comme * caendrier, * maade ou * aer, sinon dans les formes les plus relâchées du discours, ou quand le débit de la parole est rapide, ce qui par définition n’est pas habituel. Bien entendu, la n’est pas le seul article ; des articles comme un, une, des dépendent eux aussi des noms qu’ils accompagnent, mais ils ne comportent pas le son l et ne nous intéressent pas ici. II y a toutefois la forme du pluriel les, qui peut elle aussi perdre son l comme on peut s’y attendre. Dans la langue courante, l’expression dans les magasins peut se dire dans les magasins ou dans es magasins. Une fois le l disparu, d’ailleurs, les choses peuvent aller encore plus loin : le an (écrit « ans ») de dans et le é (écrit « es ») de (l)es peuvent se fondre en un in qui s’allonge en iin pour occuper toute la place originale des deux voyelles, et on peut aussi entendre diins magasins, mais c’est déjà une autre question. On voit donc que la et les, des articles qui ont un 1, sont également...

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