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AVANT-PROPOS Pertinence vs non-pertinence Il est de notoriété publique, voire internationale, que les Québécois sacrent librement. C’est un fait. Comme tel, il se montre mais ne se démontre pas. Nous souscrivons d’emblée à l’observation suivante notée par J.-P. Pichette : De nos jours, les jurons sont à ce point ancrés dans nos moeurs que nous les retrouvons partout. Et cela à un point tel que tout ce qui se prétend québécois se doit de fournir sa part de « crisses », de « câlisses » et de « tabernaques ». Notre littérature en est farcie : que l’on relise le Salut Galarneau ! de Jacques Godbout, Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay et Les Cantouques de Gérald Godin; le monde du spectacle s’en nourrit abondamment tant dans la chanson que dans la revue [par ex. L’Ostidcho et L’Ostidchomeurt de Robert Charlebois; La Tabarnouche de Varlope de Raymond Lévesque] et le cinéma. Et il faut croire à la rentabilité certaine du juron puisque la publicité l’utilise sous des formes plus ou moins atténuées dans ses messages commerciaux imprimés, radiodiffusés et télédiffusés : « C’est bon en étoile », des tonnerres de bonbons »,« une sacré bonne boisson », pour ne citer que ceux-là1 . 1. Jean-Pierre PICHETTE, Le guide raisonné des jurons, Montréal, Quinze, Collection « Mémoires d’homme », 1980, pp. 135-136. 2 L’EMPIRE DU SACRE Autrefois l’apanage de l’homme des tavernes ou des bûcherons ou des charretiers, le sacre2 manifeste aujourd’hui de plus en plus son emprise psychologique, il exerce son empire sur tous les groupes sociaux : des étudiants et des professeurs l’utilisent sans vergogne, des ouvriers et des professionnels y ont recours couramment, des femmes le répètent maintenant à la manière des hommes, etc. Ce débordement général du sacré dans la langue populaire québécoise pouvait-il seulement être endigué ? Même les interventions de la hiérarchie religieuse n’ont pas réussi à l’entraver. Le mandement percutant du cardinal Villeneuve, adressé à ses diocésains en 1943 pour les rappeler au devoir péremptoire du respect des noms sacrés, paraît résonner comme un écho lointain. Au fait, quel est le degré de gravité de l’irrespect condamné ? Dans cette lettre pastorale de 1943, on observe que ce n’est que préventivement que le sacre y est dénoncé. Dans la mesure où il représente une pratique verbale capable de conduire au blasphème. L’objectif principal du document est de fustiger le blasphème, qui, au dire du cardinal, s’est répandu chez les Québécois à un rythme effarant. Mais c’est spécialement du blasphème que constitue une parole injurieuse envers Dieu, dont nous voulons parler présentement. Car, hélas ! il est parmi nous des blasphémateurs, c’est-à-dire des chrétiens qui ne craignent point d’employer leurs lèvres à prononcer des mots qui injurient la Majesté divine. Nous savons de science indiscutable que parmi nos jeunes gens et parmi nos hommes, hélas ! Nous savons, et avec quelle inquiète humiliation le disons-nous, que même parmi les femmes et les filles, il en est qui prononcent, consciemment ou inconsciemment, des formules blasphématoires. [...] C’est que, par une inconscience lamentable chez plusieurs, par la faiblesse et l’irréflexion les plus étranges des parents, par des habitudes prises en divers milieux, le langage blasphématoire s’est répandu chez d’aucuns 2. Le lexème sacre, de la catégorie des noms masculins, renvoie en français à trois homonymes dont deux font partie de la langue commune, le troisième appartenant au registre de langue populaire des Québécois. Selon le Robert, qui réserve ses deux entrées aux homonymes de la langue commune, sacre, lexème 1, désigne la cérémonie religieuse au cours de laquelle un personnage est investi solennellement du pouvoir soit civil soit ecclésiastique. « Reims, ville des sacres » affiche, dans ce sens, un panonceau routier à l’entrée de cette ville. La deuxième entrée présente sacre, lexème 2, comme un terme de zoologie et de chasse. Il dénomme alors une variété de faucon que l’on utilisait à la chasse. Le sens de sacre, lexème 3, le seul qui nous intéresse dans la pr...

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