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11. CONCLUSION Deux choix méthodologiques prédominants s’offrent au chercheur que le phénomène du sacre intéresse : mettre la substance du sacre en veilleuse afin de mieux en faire prévaloir la rigueur et la précision à l’aide de démonstrations formelles ou bien s’attacher de préférence à la description de la substance sémiotique sans exiger ce contrôle sévère qui lui viendrait de l’analyse de la forme du contenu ? Notre choix fut d’opter pour la conciliation de cette double visée : la rigueur méthodologique et le rendement efficace. L’effort accompli pour atteindre cet objectif ambivalent s’est soldé, pensons-nous, par des gains d’ordre cognitif tant au point de vue de la théorie sémiotique elle-même qu’à celui de l’exploration d’un champ d’application particulier : le sacre québécois. Il convient de faire ici un bilan de notre analyse. 11.1 Un approfondissement théorique et méthodologique Notre étude participe d’abord au regain, récent et trop sporadique encore, des recherches en sémantique lexicale, après la dénonciation des sémiolinguistes eux-mêmes d’un grave retard des analyses sémantiques et syntaxiques au niveau discursif. Car, assez paradoxalement, les sémioticiens se sont préoccupés d’abord de la partie de la sémiotique la plus éloignée de la surface discursive, à savoir les structures sémionarratives abstraites, remettant à plus tard, par insuffisance de méthodes éprouvées, le soin d’examiner ce qui paraît, à première vue, beaucoup plus à la portée du lecteur : la forme des unités lexématiques du discours. 250 L’EMPIRE DU SACRE La difficulté de déterminer le statut sémantique du sacre est attribuable avant tout à l’exigence épistémologique de situer l’analyse à un niveau autre que celui des lexèmes, puisqu’il n’y a pas de science du multiple ni du concret. C’est l’absence d’une théorie sémantique suffisamment approfondie qui explique les contresens ou les ambiguïtés contenus dans les exposés qui ont traité jusqu’ici le sujet du juron. Définir le juron sacre par le blasphème, c’est non seulement créer un contresens en confondant deux significations différentes du verbe jurer, mais encore écarter contradictoirement de la classe des sacres les jurons sacres euphoriques de registre familier qui n’ont rien de blasphématoire, tels que Jésus, mon doux Jésus, Seigneur, Seigneur Jésus, Jésus-Marie, bonne sainte Anne, etc. Par ailleurs, assimiler tout bonnement ces derniers emplois à des« invocations », dans des énoncés tels que « Mon doux Jésus que tu as l’air malade ! »,« Seigneur qu’il fait noir ! », « Bonne sainte Anne, as-tu fini de pleurer ! », c’est fausser l’interprétation sémantique de la phrase et sa structuration syntaxique : évoquer n’est pas invoquer ; une interjection n’est pas une interpellation. Mais alors qu’est-ce qui détermine la catégorie grammaticale d’une unité lexicale dans une phrase donnée ? Est-ce son appartenance à tel ou tel registre de langue ou sa constitution sémique et sa fonction syntaxique ? Pour désambiguïser les notions en cause, nous avons dû recourir d’abord au procédé d’élagage qui a consisté à écarter tous les concurrents lexématiques du sacre, à savoir le serment, l’injure blasphématoire, la malédiction, l’exécration, l’adjuration et l’imprécation. Il s’agissait d’isoler le lexème vedette dont nous cherchions les traits distinctifs d’identification. Nous y sommes parvenu par la voie comparative, en dressant la typologie syntaxique des significations du verbe français jurer. Au sein des seize acceptions de ce verbe, apparut clairement dégagé le double effet de sens du juron sacre dont nous avons pu produire ensuite la définition exclusive. C’était réduire du coup la multiplicité effarante des sacres québécois répertoriés (huit cent quatre-vingt-dix) à une unité formelle abstraite : leur définition sémantique. Le sacre est alors apparu comme un lexème dénué de noyau sémique, c’est- à-dire de sèmes spécificateurs chargés de restreindre la portée sémantique d’un lexème donné1 . On détenait par le fait même la preuve fondamentale de l’impossibilité pour le sacre de servir de terme d’injure...

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