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4. CONCLUSION L’analyse du sacre dans ses variantes morphosyntaxiques nous a permis de mettre en lumière la structuration sous-jacente au désordre apparent de ses diverses formes. Tout d’abord les variantes morphonologiques du sacre ne se font pas au hasard. Il s’agit, pour l’individu qui veut modifier une forme de sacre, d’utiliser les ressources que propose la structure linéaire de surface. La concaténation d’éléments, phonèmes ou morphèmes, ne permet en effet que cinq transformations : on peut réduire la longueur du mot (troncation), changer un phonème ou une syllabe (substitution), ajouter un phonème ou une syllabe (addition), intervertir l’ordre de succession des éléments (permutation) et enfin combiner deux mots (juxtaposition)1 . L’euphémisme par distorsion de la chaîne linéaire semble un phénomène largement répandu dans les langues et il serait probablement intéressant de comparer dans les langues romanes et germaniques le statut de l’euphémisme phonétique sur la base des cinq transformations que nous avons relevées dans les sacres. En ce sens, le sacre présente une certaine originalité car il a su pousser à leurs limites extrêmes les ressources disponibles de l’agencement linéaire. Cette originalité est par ailleurs confirmée par la comparaison que 1. On trouve les mêmes procédés de camouflage en anglais où les tabous sexuels, scatologiques et religieux obligent aussi les individus à défigurer les mots de manière à les rendre partiellement méconnaissables. On en trouve des listes intéressantes dans les articles de Lee Ann BAILEY et Timm A. NENORS,« More on Women’s expletives ». Anthropological Linguistics, XVIII, 9, déc. 1976 ; Stephen MURRAY, « The Art of Gay Insulting », Anthropological Linguistics, XXI, 5, mai 1979 ; Marion OLIVER et Joan RUBIN, « The Use of Expletives by some American Women », Anthropological Linguistics, XVII, 5, mai 1975 ; Constance STALEY, « Male-Female Use of Expletives : a Heck of a Difference in Expectation », Anthropological Linguistics, XX, 8, nov. 1978. 104 L’EMPIRE DU SACRE nous avons établie avec l’argot, où, là aussi, on retrouve les cinq manipulations en question. Le parallèle avec l’argot se serait arrêté là si nous n’avions pas découvert également des syllabes identiques dans les deux systèmes. Les historiens de la langue québécoise ne fournissent aucun renseignement sur l’origine d’un tel phénomène et, dans l’état actuel des recherches sur les origines du français au Québec, il reste très difficile de savoir le rôle exact qu’a joué l’argot et l’apport qu’il a pu fournir dans la création des sacres québécois. À côté des cinq transformations linéaires on trouve aussi des modifications plus proches que celles du français standard, avec la préfixation et la suffixation. Comme dans tous les procédés de création de mots nouveaux, on peut créer un verbe, un nom ou un adjectif en ajoutant le suffixe marqueur de la classe syntaxique. Le phénomène est le même pour la préfixation où les quelques préfixes généraux de la langue peuvent entrer dans la combination des nouveaux sacres. Il faut toutefois remarquer que l’utilisation des suffixes et des préfixes reste à distinguer des cinq transformations linéaires, pour ce qui est des possibilités de choix offertes au locuteur. En effet, modifier un sacre consiste, encore maintenant, à changer volontairement la structure interne du mot de manière à camoufler sa forme originelle. Il est certain que certaines formes de sacre sont maintenant en voie de fixation et que le phénomène va s’étendre aux autres sacres à mesure que la langue vieillit. Mais il reste que l’individu est toujours libre d’inventer une forme nouvelle de sacre et de l’utiliser à sa guise. Ce qui a d’ailleurs pour conséquence que le corpus de sacres est une liste théoriquement infinie à laquelle on peut toujours ajouter un élément nouveau. L’individu est donc libre de créer de nouvelles formes de sacre et de les employer alors qu’au contraire il ne peut le faire avec les préfixes et les suffixes. Il n’est pas possible d’inventer une nouvelle forme de préfixe ou de suffixe. Ce niveau de créativité relève de la langue et de son évolution naturelle...

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