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CHAPITRE II LE DÉFI D’ENGELS Je sais par un mot qu’Engels dit à ma femme, à Eastbourne, quelques semaines avant sa mort, que cette question le préoccupait pendant les derniers mois de sa vie et qu’il comptait compléter son supplément. Quoiqu’affaibli par la maladie, il élaborait une exposition de la théorie, qui par sa simplicité, disait-il, entraînerait l’adhésion de tous les esprits. Malheureusement, il ne put écrire ce travail. Il reste donc aux marxistes la tâche de rechercher et d’interpréter les phénomènes économiques qui confirment la théorie de la valeur, la seule théorie qui rende intelligible l’évolution de la production humaine, depuis qu’elle a revêtu la forme marchande. PAUL LAFARGUE, 1897. Tous les critiques de Marx, comme du reste la plupart de ses disciples , identifient théorie marxiste et théorie ricardienne de la valeur, baptisées toutes deux « théorie de la valeur-travail ». Marx lui-même, à l’occasion de ses remarques sur Ricardo, était loin d’être clair à ce sujet, et Engels porte une lourde responsabilité dans la formation de cette confusion, entretenue jusqu’à ce jour. « L’énigme du taux moyen de profit », première version du« problème de la transformation » est le lieu de naissance de cette confusion. Cette énigme est elle-même la deuxième version d’un débat qui avait opposé, un demi-siècle avant la publication du livre premier du Capital, partisans et adversaires de Ricardo. Ainsi, peu de temps après la parution des Principes d’économie politique, Torrens avait écrit que la théorie ricardienne de la valeur est mise en échec par le fait que des capitaux égaux mettent généralement en mouvement des quantités inégales de travail2 . Il était en effet admis, par tous les économistes, au moins depuis Adam Smith, qu’une des lois fondamentales de l’économie capitaliste est la tendance à l’unifor- 34 VALEUR ET PRIX mité des taux de profit, calculés d’après la grandeur totale des capitaux investis. Au problème que pose cette contradiction entre l’égalité des taux de profit et la théorie ricardienne de la valeur, les disciples de Ricardo ne surent apporter de réponse satisfaisante. C’est là, selon Marx, l’un des facteurs qui contribua à l’abandon graduel de la théorie de la valeur formulée par Ricardo. Il n’était donc pas surprenant que l’on oppose, à la théorie de la valeur que l’on croyait lire dans le Capital, l’objection classique de Torrens contre Ricardo. C’est ce que firent, entre autres, Bohm-Bawerk, Loria, G. Adler et Lehr2 . Bien avant l’élaboration du livre premier du Capital, Marx avait réfléchi à ce problème. Au terme d’une longue recherche sur la théorie du profit et de la rente chez Ricardo, il expose, dans une lettre à Engels, le 2 août 1862, une solution à la contradiction entre l’échange des produits à leur« valeur » et la péréquation des taux de profit entre les différentes branches industrielles, solution qu’il considère comme une grande découverte. Cette solution est présentée dans le livre troisième du Capital, dont Marx a rédigé le manuscrit en 1864 et 1865, mais qui ne sera publié que trente ans plus tard. Lisant les épreuves du livre premier du Capital, Engels s’était déclaré surpris de ne pas trouver la réponse à l’objection qu’on allait immanquablement lui servir, concernant la contradiction entre la théorie de la valeur-travail et la péréquation des taux de profit. Marx lui avait écrit que la réponse à« l’objection inévitable du philistin et de l’économiste vulgaire... revient, en termes scientifiques, à la question suivante : comment la valeur de la marchandise se transforme-t-elle en son prix de production3», ajoutant que la résolution de cette question ne pourra être exposée qu’au troisième livre, après l’exposé du procès de circulation du capital, qui fait l’objet du livre deuxième. Dans la préface au livre deuxième du Capital, publié deux ans après la mort de son auteur, en 1885, Engels avertit les lecteurs de la présence de cette solution dans les manuscrits de Marx, mettant au défi les économistes de résoudre la contradiction qui...

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