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CHAPITRE PREMIER LA « RÉVOLUTION MARGINALISTE » ET LE CAPITAL Pour une solide critique — qu’elle émane d’amis ou d’adversaires — il faut attendre quelque temps : une œuvre d’une telle ampleur, et partiellement d’une telle difficulté, requiert du temps pour être lue et digérée. Mais le succès immédiat n’est pas conditionné par une critique solide, mais, pour le dire tout à trac, par du battage, par les coups de grosse caisse, qui obligent les ennemis aussi à se prononcer. Pour l’heure, ce qui est important, ce n’est pas tant ce qu’on dit, que l’on en dise quelque chose. Lettre de Marx à Kugelmann, 11 octobre 1867. L’auteur du Manifeste du parti communiste est déjà bien connu en 1867. Au moment où le livre premier du Capital est publié par la maison d’édition Meissner, de Hambourg, en septembre 1867, Karl Marx est un dirigeant important de la seconde Internationale, qu’il a contribué à mettre sur pied en 1864. Le Capital n’est d’ailleurs pas le premier texte dans lequel Marx expose les fondements de sa critique de l’économie politique. En 1859, il avait rendu publique, dans la Contribution à la critique de l’économie politique, sa théorie de la marchandise et de la monnaie. Toutefois, avant 1867, les travaux théoriques de Marx n’avaient guère attiré l’attention des économistes. On connaît les efforts que Marx et Engels ont déployés pour que l’on « parle » de la Contribution. Mais le Capital contient, outre la théorie de la valeur déjà présentée dans la Contribution, la théorie de la plus-value, élaborée entre 1850 et 1860. Karl Marx apparaît alors comme un dangereux continuateur de ces « socialistes ricardiens » qui, attribuant théoriquement la valeur au travail, réclament pratiquement pour les travailleurs la totalité de la production nationale. Il devient donc important de nier l’exploitation de la classe ouvrière par le capital, 10 VALEUR ET PRIX en détruisant à sa base la construction théorique qui permet d’en expliquer les mécanismes. Cette tâche est d’autant plus urgente que le marxisme, comme mouvement politique, se constituait au même moment. Il allait prendre, à partir de 1870, un essor très rapide pour devenir, moins de dix ans après la mort de Marx, survenue en 1883, la doctrine officielle de la plupart des mouvements socialistes européens. Ce contexte politique suffit à expliquer la multiplication des critiques de ce qu’on croit être la « théorie économique » de Marx, fondateur du socialisme scientifique. Ces critiques sont d’ailleurs d’autant plus nombreuses que le mouvement socialiste a, dans les pays concern és, plus de puissance. Cela n’a pas changé depuis un siècle, comme, du reste, le contenu de ces critiques. La tâche des critiques est grandement facilitée par la publication, quelques années à peine après le livre premier du Capital, des travaux de Jevons, Menger et Walras1 , point de départ de la « révolution marginaliste ». On sait que cet événement n’a de révolutionnaire que le nom. Dès la fin du dix-huitième siècle, l’abbé de Condillac2 écrivait que la valeur des objets est fondée sur leur utilité, sur le besoin que les hommes ressentent pour eux. Ces idées furent reprises par plusieurs auteurs avant d’être formalisées mathématiquement par les révolutionnaires susnommés. Marx ignorait Jevons, Menger et Walras, et Engels a sous-estimé l’importance de cette nouvelle variante de l’économie vulgaire. Mais aussi, les pères du marginalisme ont ignoré Marx. On ne peut d’ailleurs maintenir que leurs travaux ont été conçus comme une réfutation du marxisme. La date de publication de leurs ouvrages suffit à infirmer cette hypothèse. Ce sera la tâche de la « seconde génération » de marginalistes d’attaquer Marx. Ils se partagent en trois écoles : celle de Lausanne, fondée par Walras ; celle d’Angleterre, inspirée par Jevons ; enfin, celle d’Autriche, établie par Menger. Ce sont les disciples qui ont véritablement « fondé » ces écoles. Paradoxalement, c’est de l’école de Lausanne, dont l’inspirateur est sans doute le plus grand théoricien du marginalisme, qu’est venue la critique la moins articulée de la théorie de Marx. C’est peut-être ce qui permet à certains, aujourd’hui, de...

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