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1 INTRODUCTION 1.1. Baudelaire, cherchant à définir la poésie de Banville, écrivait : « Si je trouve dans ses œuvres un mot, qui par sa fréquente répétition, semble dénoncer un penchant naturel et un dessein déterminé, j’aurai le droit de conclure que ce mot peut servir à caractériser mieux que tout autre la nature de son talent1 .» Puis du mot lyre, terme de prédilection de Banville, Baudelaire déduisait le caractère lyrique du poète. Pour la sémantique, pareil procédé est sujet à caution, car, nonobstant sa simplicité apparente, il tire avant tout sa valeur opératoire de l’intuition même du critique. L’écart enregistré entre le terme retenu pour sa fréquence et la conclusion inférée, si large qu’il paraisse, n’empêche pourtant pas de saisir l’à-propos d’un tel jugement. Un « mot », un lexème donné, n’est jamais étranger au texte qui l’intègre. L’analyse minutieuse de la phrase dégage un à un les liens internes qui nouent ensemble les significations et fait ressortir le phénomène de redondance grâce auquel le sens se profile, s’étend et se propage dans la phrase. Ainsi, tirant à soi le lexème le mieux répété d’un poème, Baudelaire livrait d’emblée à partir d’un indice tout extérieur une conclusion sur « la nature du talent » d’un poète, conclusion que, pour sa part, le sémanticien n’accueillerait qu’au terme d’une analyse rigoureuse. Le lexème particulier devenu manifestation d’un état général, une simple graphie promue à la qualité de signe d’un contenu conceptuel caché et permanent, c’est le rôle étonnant que perpétuent les langues naturelles au sein des sociétés. Nous avons discerné à notre tour dans l’œuvre spirituelle de Jean Eudes, au XVIIe siècle, un terme dont la fréquence trahit une préoccupation dominante, traduit l’obsession : c’est celui de « cœur ». Au surplus, l’auteur lui con1 . Charles Baudelaire, œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1961, p. 735. 2 LA STRUCTURE SÉMANTIQUE fère tant de plénitude qu’il doive passer pour le transcendental de son univers sémantique. Chez lui, en effet, le nom de cœur énumère tout : le muscle palpitant situé dans la poitrine de l’homme, l’esprit, l’amour, la volonté, la mémoire, l’âme, la fine pointe de l’esprit, la personne de Jésus, le Saint-Esprit, le Fils du Père, etc. Une telle polyvalence déconcerte de prime abord, voire égare le lecteur non initié aux thèmes de pensée que le vocable recouvre et appelle l’analyse sémantique qui permette de découvrir le passage qui conduit, en pensée, du cœur de chair aux Personnes trinitaires. Cette puissance d’expression dévolue au cœur est-elle si hardie qu’elle ne soit admissible dans la langue qu’à titre d’exception ? Loin d’être imputable à une exagération du langage mystique, la valeur pluridimensionnelle que le coeur revêt constitue, selon nous, la répétition d’un phénomène courant dans la constitution de la langue. Pour lors, notre objectif est simple bien que colossal. Explorer d’abord toutes les variations de sens du lexème cœur chez Eudes en décantant les acceptions singulières qu’il présente, construire ensuite un modèle taxinomique , c’est-à-dire une sorte de construction arborescente où se hiérarchisent, en dépendance des significations fondamentales, les divers relais sémiques qui mènent droit à la lexicalisation de cœur. Nour aurons tôt fait de constater à quelle profondeur s’enracine l’ensemble structural recouvert par « cœur », lequel se ramifie dans les thématiques les plus représentatives du discours spirituel de Jean Eudes. 1.2. Sémantique structurale Nos jalons méthodologiques empruntés à A. J. Greimas, dont l’ouvrage de base Sémantique structurale nous servira de guide constant au cours de nos exposés et auquel nous devons le meilleur de nos aperçus, balisent depuis peu seulement nos propres recherches. Longtemps, faute de méthode scientifique valable, nous avons erré d’une œuvre critique à une autre, toujours insatisfait du fruit retiré. Nous pensions cueillir dans les travaux théologiques ou littéraires, historiques ou psychologiques les bribes de connaissance dont...

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