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Chapitre 6« Enfin Siegfried vint... » I Enfin Malherbe vint... ainsi Boileau1 saluait, avec une impatience quelque peu bougonne, le réformateur décisif de la langue française qui fut aussi le poète 2 annonçant le lyrisme impersonnel des grands classiques du siècle commençant. Avec Le Canada, les deux races, publié en 1906, André Siegfried inaugura, pour ainsi dire, la série des ouvrages dits classiques d’auteurs étrangers sur le Canada. Le Canada, puissance internationale3 , lancé 30 ans plus tard en 1937, tout en renouvelant le sujet, allait confirmer la classe de l’auteur et étendre encore sa notoriété au Canada. Par fort contraste avec les traditionnelles compilations de données, travaux dépourvus d’intérêt ou d’intention analytique, ainsi qu’avec nombre de récits ou de journaux de voyages dont nous n’avons signalé au chapitre précédent que les plus marquants, les deux ouvrages de Siegfried constituaient des études élaborées, mariant avec bonheur analyse et synthèse, qui résistent assez bien, même aujourd’hui, aux exigences critiques de l’Académie. 1.Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir. (L’Art poétique, Chant I, Boileau, Œuvres classiques, Paris, Librairie Hatier, 1928, p. 217.) 2.François de Malherbe né à Caen en 1555, mort à Paris en 1628. 3.L’un et l’autre ouvrages publiés à Paris, chez le même éditeur, la Librairie Armand Colin. 108 Chapitre 6 Ces ouvrages étaient d’un auteur dont l’autorité était reconnue à l’extérieur et non pas d’un voyageur sous le coup de l’émotion ou de l’enthousiasme d’une soudaine découverte. Par-dessus tout peut-être, André Siegfried était un communicateur hors pair. Il le restera toute sa vie à toutes les espèces de tribunes écrites ou parlées où il instruisait en sachant d’abord intéresser, et cela si naturellement. Pendant plus d’un demi-siècle à partir de 1904, il produira une œuvre multiforme et abondante, contribuant à entretenir jusqu’à la fin l’espèce de légende vivante qu’il était devenu dans le Paris de l’après-guerre. Cet essayiste, qui se mouvait avec aisance sur diverses places fortes de la vie intellectuelle parisienne, s’était fait comme une spécialité de généraliste en ce sens qu’il affectionnait les vastes sujets, pouvant se relier d’une certaine façon à la grande actualité. Son professeur de philosophie, Izoulet, donna à son élève « le goût des idées générales ». Siegfried, devenu lui-même un maître, continuera à mettre en garde contre la spécialisation outrée ou la séduction des techniques raffinées de recherche. Vient un moment où il faut laisser sa place à l’intuition, à la « curiosité affective » et à la personnalité même du chercheur4 . Sa méthode, s’il en avait une, comportait comme article premier de voyager ou d’aller voir sur place, d’interroger les gens, de rapporter des observations à chaud 5 . Son collègue et associé, Édouard Bonnefous, dira de Siegfried qu’il « était de ceux, de plus en plus rares, qui font la synthèse », tandis que le pasteur Georges Marchal vantait ses dons de causeur car, «grâce à lui, l’échange de vues prenait grand air, mais sans la moindre tension 6». Cette oeuvre de polygraphe comme il ne s’en fait plus guère apparaît aujourd’hui, en sa globalité, comme une espèce de longue chronique d’un demi-siècle marqué de tant de soubresauts’. L’homme conservera toujours quelque chose du siècle précédent, étant né en 1875, mais sans être jamais perdu dans le nôtre dont il fera tant de judicieux diagnostics jusqu’à sa mort survenue en 1959. Ce même trait s’applique aussi à l’œuvre de Tocqueville, ce qui nous a suggéré, à la fin de notre introduction, ce rapprochement entre l’un et l’autre, entre ces deux hommes d’entre deux siècles. 4. François Goguel, « En mémoire d’André Siegfried »,Revue française de science politique, juin 1959, p. 333, 338. 5. « Siegfried lui-même nous rapportait qu’à la soutenance de la sienne (sa thèse) sur la Nouvelle-Zélande, on l’avait blâmé d...

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