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LES IMAGES SOUS LES MOTS1 ue sont les images devenues? Je ne parle pas de celles que l’on peut encadrer et mettre à distance, mais des images qui se cachent sous les mots de la littérature, ces images qui font qu’un texte littéraire n’est pas un effet de langue, ces images qui se situent aux confins de la mémoire et de l’imagination, images sans lesquelles le mot ne saurait exister, des mots comme ceux de Proust: [...] ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l’insaisissable tourbillon des couleurs remuées; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne , la saveur, lui demander de m’apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s’agit (Proust, 1954, p. 56). Rencontre intime des images qui habitent le lecteur et des mots du texte. De ces images, il sera ici question parce qu’elles mettent en cause 1. Cet article a été publié sous le même titre dans Aux frontières du pictural et du scriptural. Hommage à Jiri Kolar, Eva Le Grand (dir.), Québec, Nota Bene, 2000. Nous remercions Nota Bene pour l’aimable autorisation de le reproduire. Gilles THÉRIEN Université du Québec à Montréal Q 206 | THÉORIES ET PRATIQUES DE LA LECTURE LITTÉRAIRE toute lecture littéraire, toute lecture qui cherche d’abord à comprendre ce que devient la langue quand elle ne sert plus à communiquer, comme on le dit des journaux ou de divers discours d’usage. Les travaux de Saussure qui devaient conduire à la naissance de la sémiologie sous sa forme structuraliste ont mis l’accent sur la langue, le code. Le signe linguistique est une pure unité dont les frontières sont bien marquées phonétiquement. On a même inventé un alphabet phon étique qui contient dix notations de plus que l’alphabet français écrit: l’image acoustique est plus complexe que l’image graphique. Retrouver dans les paroles le mécanisme de la langue était, certes, important pour le développement de la linguistique mais, en appliquant la même règle à la littérature sous prétexte qu’on y retrouvait aussi des mots, on engageait une réduction du littéraire aux mécanismes dont il semble le porteur sans tenir compte de la nature même de l’objet littéraire. Saussure lui-même s’était heurté à la difficulté dans sa recherche sur les anagrammes , ces mots sous les mots, quand il est devenu clair que, compte tenu du caractère économique de la langue, il y aurait, peu importe l’intention sémantique, toujours des mots sous les mots. C’est le lot des langues qui ont abandonné le pictogramme pour une solution plus économique et plus abstraite. Je ne ferai pas ici la critique de cette recherche. Jean Starobinski a sondé avec intelligence l’hypothèse de Saussure et il ne me semble pas qu’on pourrait ajouter beaucoup à ses conclusions2. Je m’en tiendrai surtout au cœur même de l’hypothèse selon laquelle un mot de la langue jouerait le rôle de matrice d’un discours et laisserait tout le long de celui-ci des traces de son existence. Pour y parvenir, il aurait fallu démontrer que, dans l’expression poétique, la langue, le code, l’expression universelle venaient structurer le discours , incarnation singulière, expression de la parole. Non, il n’était pas écrit «Au commencement était le code», mais bien «Au commencement était la parole». Trouver le mot sous les mots, la clé du déploiement du discours, aurait été, on le devine, un accomplissement incroyable pour le structuralisme. Mais voilà, Saussure n’a pu établir de preuves. Toutefois , l’échec du travail sur les anagrammes n’empêchera pas l’élaboration de la sémantique structurale pour qui une combinaison sémantique se veut l’explication de tout un récit. Or cette combinaison se vérifie dans le dictionnaire, là où les mots ont perdu à peu près tout caractère 2. Voir l’essai de Jean Starobinski (1971). [3.12...

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