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UNE LECTURE SANS TRADITION LIRE À LA LIMITE DE SES HABITUDES 1 De nouveaux lecteurs créent des textes nouveaux dont les nouvelles significations dépendent directement de leurs nouvelles formes. D.F. McKenzie2 radition, traduction: qu’est-ce qui vient séparer ces deux termes, dont les signifiants sont si proches ? Qu’est-ce qui change dans le passage du di au duc ? S’opposent en fait, par ces deux termes, des conceptions complètes de la lecture et du rapport à la culture. Le premier introduit un rapport à l’identité, fondé sur la mémoire, l’histoire, la convergence de temporalités d’abord disjointes (le passé versus le 1. Cet article a été publié sous le même titre dans Protée («Lecture, traduction, culture»), vol. 25, no 3, hiver 1997-1998, p. 7-19. Nous remercions Protée pour l’aimable autorisation de le reproduire. 2. « New readers make new texts, and their new meanings are a function of their new forms» (trad. tirée de D.F. McKenzie, 1991, p. 53, cité dans Chartier, 1996, p. 137). Bertrand GERVAIS Université du Québec à Montréal T 152 | THÉORIES ET PRATIQUES DE LA LECTURE LITTÉRAIRE présent), la confirmation d’un territoire culturel, un mouvement centrip ète inscrit avant tout dans la verticalité; tandis que le second déploie une identité marquée par l’exploration des bords et des frontières, la dispersion, un mouvement centrifuge où les langues s’affrontent, où les sémiosphères (Lotman, 1990) se rencontrent et les médiasphères (Debray, 1991) se chevauchent. La tradition est affaire de mémoire : elle est une transmission, fondée à même son étymologie sur le fait de remettre, de passer quelque chose à un autre. C’est un héritage transmis oralement ou par écrit. Elle s’inscrit du côté de l’histoire et de la longue durée, de la confirmation d’une identité par répétition, par rappel. Elle est l’ouverture d’un passé qu’il s’agit non plus d’oublier mais de préserver intact et fonctionnel. L’idée d’un passage est aussi présente dans la traduction, mais dans ce cas, ce n’est pas un objet, un texte, dont on veut préserver la lettre et qui est passé entre deux agents, entre deux temps, un ancien et un nouveau , c’est un objet qu’on veut transformer, pour le faire passer à un second état et le rendre ainsi accessible. C’est un passage qui affecte la lettre du texte, qui est interprétation, transformation, mouvance. La tradition implique une certaine immobilité, l’identification d’un centre à investir, à protéger, à constituer comme espace plein et stable. Lire, sous la régie de la tradition, c’est rechercher une culture qui est sienne, qui puisse servir d’attache. C’est chercher la sécurité de l’identit é reconfirmée. Elle implique un regard tourné vers soi, vers le centre, et qui réaffirme les principes d’une identité collective. La tradition dit qui nous sommes, d’où nous venons, où nous devons aller, ce que nous avons en commun. En comparaison, la traduction – et par là, je veux dire la pratique actuelle de traduction de textes contemporains – fonctionne d’abord et avant tout sur le mode de l’oubli. Oubli de soi et de sa culture, pour aller vers celle de l’autre, pour lui assurer une présence et une actualité à même sa propre situation. Elle n’est pas un regard tourné vers le passé, un repli, mais une ouverture à l’autre. Ce n’est pas la temporalité ou encore la verticalité qui en illustrent le mieux ses relations fondamentales , mais l’horizontalité, la coprésence sur un même territoire de deux cultures, de deux langues, de ce fait réunies. Si la tradition joue avant tout sur une seule langue, qui a un rôle identitaire, et à laquelle les [3.145.206.169] Project MUSE (2024-04-25 11:36 GMT) autres langues et cultures seront subordonnées, la traduction repose sur une déhiérarchisation des cultures ou, plutôt, sur une fluctuation dans le jeu des hiérarchies. Les relations ne sont pas fixes ni établies de façon durable, mais en mouvance continuelle, au gré des rapprochements , des itinéraires personnels. De fait, la traduction – ici, la pratique de lecture qui consiste à lire des traductions, à laquelle on peut associer une pratique de lecture complémentaire, lire...

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