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À la frontière de soi et de l’autre Nada Moufawad Chacun de ceux qui arrivent à Beyrouth voit Beyrouth à sa manière mais on ne sait, personne ne sait, si la somme conjuguée de ces images se confond avec Beyrouth. Ceux qui pleurent ne pleurent pas pour elle mais pour leurs souvenirs, ou pour leurs intérêts propres. Mahmoud Darwich, « Une mémoire pour l’oubli » Essayons d’ôter cette poussière qui encombre notre mémoire, poussière faite de mythes héroïques et d’illusions perdues. Ôtons-là, et entrons dans la ville à la recherche des mots. Là-bas, c’est-à-dire ici. Devant la mer, c’est-à-dire devant les frontières qui séparent et qui relient. Élias Khoury, « Miroir brisé » Beyrouth évoque une multitude d’images : tantôt orientale tantôt occidentale, telles que décrites et façonnées dans l’imaginaire des récits romantiques de Lamartine et de Nerval qui ont nourri le mythe de la « Suisse de l’Orient1». Beyrouth traîne dans son ombre l’imagerie d’un âge d’or perdu, idéalisé par un Autrui provenant d’un espace extérieur. L’Occidental – et surtout le Français – a trouvé en elle un lieu intermédiaire, une « ré-union » de l’Orient et de l’Occident. Puis, du jour au lendemain, la dolce vita beyrouthine est devenue violence, horreur, libanisation. Beyrouth la « star », fille de l’« empire malade2», devient « putain ». Clivée confessionnellement 1 « Lamartine a été le premier à décrire la“Suisse du Levant”et l’analogie avait fait du chemin dans les esprits jusqu’à être intériorisée par les autochtones […]. » (Kassir, 2003 : 364) 2 Avant son démantèlement, l’empire ottoman était décrit comme l’empire malade ou l’« Homme malade qu’il ne fallait point faire mourir trop tôt » (Kassir, 2003 : 105). Kassir explique que « l’Empire voyait ses efforts de réforme constamment grevés par les contradictions des Puissances, […] avec le changement du rapport de forces, des emblèmes de domination » (2003 : 105). par les médias, selon le tracé de la Ligne Verte3 (voir les figures 1 et 2), Beyrouth devient zone de vie et de mort sexualisée, une « Juliette » chrétienne communément appelé « Sharqiyeh », Beyrouth-Est, et un« Roméo » à majorité musulmane, « Gharbiyeh », Beyrouth-Ouest. Beyrouth « une » devient dans les esprits « deux » et, dans la réalité, accouche de « petites guerres4» qui sont façonnées à son image : ces dernières sont multiples et souvent inclassables. Plus les frontières la traversent, plus elle se plie sur elle-même et ferme sa porte à l’étranger qui veut la connaître. Ce qui a fait la magie de Beyrouth5 , le fantasme, n’opère plus : elle est devenue synonyme du « choc des civilisations » (Huntington, 1997) et a appris à ses dépens qu’« un » plus « un » ne donne pas une union nationale, mais un confessionnalisme barbare et rétrograde. 3 Dès 1982, l’armée israélienne et les médias occidentaux utilisent le toponyme « Ligne Verte » pour désigner la frontière qui suit la Rue de Damas jusqu’à la vieille route de Saïda. Ce toponyme réfère à la couleur verte utilis ée, en 1949, par l’armée israélienne pour tracer la ligne de division de la Palestine. La population libanaise qui emploie cette appellation réfère à la végétation qui, lors des combats, a envahi cet espace (Huybrechts, 1999 : 209). Cette frontière est également désignée comme « Ligne de démarcation » et« Ligne des combats » : elle épouse la « rue de Damas, la route qui mène du port de Beyrouth vers le Mont-Liban puis vers ce carrefour extraordinaire et millénaire qu’est Damas, [et] constitue la limite de deux territoires “diff érents”. […] Limitée d’abord, en 1975-76, au vieux centre commercial, le centre-ville historique, elle serpente maintenant à travers les banlieues et la ceinture semi-rurale de la capitale. On passe péniblement d’un secteur à un autre, subissant contrôles d’identité, humiliations et fouilles. » (Davie, 1994 : 2) 4 L’expression « petites guerres » provient du long métrage de fiction de Maroun Baghdadi, Petites guerres, ainsi que de l’expression « petites guerres » employée dans le documentaire Nos guerres imprudentes de Randa ChahalSabbagh . Dans les deux cas, les « petites guerres » réfèrent aux différents conflits inter et intra communautaires ainsi qu’intra et...

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