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Le monde rural aura été, pendant des siècles, un monde agricole ; une mutation de cette donnée fondamentale de la ruralité a pris place en cette fin de XXe siècle, car l’agriculture devient une activité parmi d’autres dans l’espace rural et une activité qui est loin d’occuper la majorité des ruraux1 . Avec ces mutations qui sont aussi des recompositions sociospatiales engendrées par l’économie moderne, industrielle et urbaine, la ruralité contemporaine existe-t-elle encore, garde-t-elle une certaine spécificité ? N’a-t-on pas assisté à une urbanisation des campagnes qui rend caducs les anciens rapports villes-campagnes où l’on pouvait distinguer plus nettement deux mondes, chacun présentant une unicité formée par le mode d’organisation du territoire, le type de production et le genre de vie ? La définition du monde rural, ou l’identification des principaux éléments de spécificité et de différenciation de la ruralité contemporaine, n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser à première vue. Entre des habitats humains aux géométries variables et des espaces naturels portant plus ou moins l’empreinte d’une occupation humaine, où commence et où finit ce monde rural ? 1. Ce chapitre est une version remaniée d’un article préparé dans le cadre de la réflexion des universitaires aux États généraux du monde rural. Voir Bruno JEAN, « La ruralité québécoise contemporaine : principaux éléments de spécificité et de différenciation., dans Bernard VACHON (dir.), Le Québec rural dans tous ses états, Montréal, Boréal, 1991, p. 81-105. CHAPITRE 2 La ruralité québécoise Identité et recomposition du monde rural contemporain Dans un tel contexte, on pourrait dire que définir la ruralité, et qui plus est la ruralité québécoise, est un véritable défi lancé aux sciences sociales. Nous partageons la conviction qu’un nécessaire travail de redéfinition de la ruralité s’impose, pour lequel nous tenterons de poser quelques jalons préliminaires ici. Ce défi est double, car il doit répondre, à la fois, aux exigences théoriques de clarification conceptuelle et aux demandes sociales de reconnaissance de la ruralité comme réalité sociale toujours présente dans le cadre de la société moderne où l’urbanité s’est imposée comme phénomène social majeur en devenant le cadre de vie du plus grand nombre de citoyens. Dans le présent chapitre, nous nous attaquerons à un premier défi : identifier quelques pistes d’une approche sociologique de la ruralité, une réalité insaisissable mais irréductible. Dans un second temps, nous tenterons d’appréhender la ruralité québécoise à partir des grands traits de son évolution économique et sociale récente. Il s’agit donc d’une tentative un peu téméraire qui se présente sous la forme d’une série de propositions, constituant autant de diagnostics des grandes mutations du monde rural qui nous imposent de rigoureuses simplifications d’une évolution faite de ruptures et de constances. On terminera en évoquant, dans un troisième temps, quelques phénomènes qui continuent de menacer la ruralité d’aujourd’hui, soit le dépeuplement, le vieillissement et la pauvreté, qui affectent toujours les populations rurales. 2.1. UNE RÉALITÉ INSAISISSABLE ET IRRÉDUCTIBLE : POUR UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DE LA RURALITÉ À partir de l’expérience sensible que tout individu peut faire de la ruralité, tout acteur social possède sa propre définition intuitive du réel. Mais si l’on veut construire, à partir de ces perceptions, une notion propre au langage sociologique, il nous faut définir un concept de ruralité qui soit pertinent tant sur le plan théorique que sur le plan opératoire. Alors, ce qui apparaissait si simple - quoi de plus évident qu’un paysage rural – devient complexe2 , car on ne sait plus précisément où 2. Au fil des années, nous avons réalisé plusieurs missions de recherche et d’expertise dans plusieurs pays développés ou en développement ; ces travaux confortent notre thèse sur l’incontournable réalité rurale. Cette prise de distance avec les réalités québécoises nous a aussi été très utile pour mieux comprendre ce qui se passait chez nous. Un collègue étranger s’étonnait d’ailleurs que dans le présent livre nous ne...

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