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Depuis plus d’un siècle, l’avenir de la ferme familiale a donné lieu à un nombre impressionnant de spéculations les plus diverses. Si plusieurs prenaient sa défense, plus d’un prophétisait sa disparition prochaine, illustrait son processus de décomposition pour laisser la place à une forme supérieure ou plus évoluée d’exploitation agricole, que ce soit la grande ferme capitaliste pour les uns ou la grande ferme collective pour les autres. De tous côtés, on a surtout voulu nous faire croire1 que la mission historique de l’agriculture familiale s’achevait et que celle-ci allait disparaître pour devenir une sorte « d’objet » inanimé qui n’intéresserait plus que les sciences historiographiques et ethnographiques, mais alors en dehors du champ des préoccupations de la sociologie et de l’économie rurale. Par ailleurs, la ferme familiale semble avoir suscité une curieuse capacité de se maintenir, de se reproduire au fil des générations, de s’adapter aux mouvements de la conjoncture 1. Au Québec, Michel Morisset a fait paraître un livre, L’agriculture familiale au Québec (Paris, L’Harmattan, 1987), qui défendait avec vigueur cette idée ; son ouvrage a aussi été publié dans une série d’articles parus dans La terre de chez nous ; j’ai entrepris le présent travail de remise en ordre de certains faits et de leur signification pour contester les thèses défendues par Morisset et qui ont connu une large audience dans nos milieux agricoles. CHAPITRE 5 L’agriculture familiale contemporaine Survivance du passé ou création de la modernité socioéconomique2 , indépendamment des régimes politiques – si différents du nord au sud, de l’est à l’ouest – dans lesquels elle a été amenée à évoluer. La présente contribution a été écrite en parallèle à notre démarche d’analyse comparative internationale des exploitations agricoles familiales. L’écriture de ce texte a été en chantier pendant près de dix ans, chantier en fait souvent déserté, puis repris. Le produit présenté ici doit donc ressembler à ces projets d’autoconstruction résidentielle jamais terminés, reprenant une pratique fort connue sur nos vieux Fronts pionniers où les colons complétaient la construction de leur maison en plusieurs étapes, au fur et à mesure que les ressources le permettaient. Il y a quelques années, après l’avoir fait lire à des amis, nous avons décidé de le présenter dans des colloques, mais rétrospectivement nous constatons que ce fut dans deux colloques internationaux et dans deux langues différentes, en anglais dans le colloque Agrarian Question de Wageningen en 19953 et en portugais dans le colloque sur la ferme familiale de Campinas (Brésil) en 19934 . Rendre plus accessible cette réflexion pour le public francophone devenait impérieux dans notre esprit, malgré le caractère inachevé de l’ouvrage. Le lecteur pourra aussi considérer que nous sommes loin de l’œuvre imaginée initialement, soit un texte didactique, écrit avec sobriété et surtout clarté, pour les agriculteurs eux-mêmes, et publiable en quelques semaines dans les pages de La terre de chez nous. À discuter avec les agriculteurs de ces idées, nous avons eu le sentiment de leur apprendre des choses qu’ils savaient déjà, mais qu’ils ne savaient pas qu’ils savaient. On aura 2. II faudra aussi expliquer un jour comment il se fait que les débats virulents auxquels ont donné lieu ces interrogations sur l’évolution de l’agriculture qui ont tant secoué et divisé la profession agricole, de même que ses intellectuels organiques comme ses observateurs « scientifiques », sont restés des débats typiquement européens et n’ont guère traversé l’Atlantique pour animer la réflexion sur l’évolution même d’une agriculture québécoise influencée par les mêmes processus. 3. La version anglaise de ce texte est en fait une version fortement synthétisée et qui a été publiée dans une édition à petit tirage pour les bibliothèques universitaires. Voir Bruno JEAN, « The modern family farm : a survival from the past or a model for the future ? », Agrarian Questions : the politics of farming anno 1995 : proceedings, Wageningen, Agrarian Questions organizing Committee Editor, 1995, vol. II, p. 709-719. 4. Malheureusement, nous ne parlons pas portugais ; la traduction simultanée était offerte pour ce colloque tenu dans les murs d...

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