La morale, l'éthique, l'éthicologie: Une triple façon d'aborder les questions d'ordre moral

Chapitre 1_La pratique de l'éthique dans la société actuelle

La pratique de l’éthique dans la société actuelle Il est essentiel de s’interroger d’abord sur ce phénomène relativement récent qu’est l’intérêt grandissant pour l’éthique qui se manifeste dans plusieurs secteurs de la vie sociale et d’examiner attentivement les exigences auxquelles doivent inévitablement faire face quiconque se consacre à la réflexion éthique. Celle-ci nécessite de la part de l’éthicienne et de l’éthicien un sens aigu de la responsabilité, un certain courage, beaucoup d’humilité et, à n’en pas douter, une bonne dose d’humour. Dans ce chapitre, nous mettrons principalement l’accent sur les contraintes inhérentes à la pratique de l’éthique et sur sa capacité d’interpellation. 1. L’intérêt actuel pour l’éthique ? On parle de plus en plus d’éthique dans tous les secteurs de la vie sociale. On parle de bioéthique, de code d’éthique, d’éthique des affaires, d’éthique de l’environnement. On utilise de plus en plus l’expression « éthique appliquée » pour caractériser ces approches particulières. Quelle pratique de l’éthique désigne cette expression ? Celle-ci est pour le moins problématique dans la mesure où elle peut donner à croire que les problèmes moraux qui agitent nos sociétés peuvent être abordés isolément ou laisser subtilement entendre qu’ils peuvent être traités en faisant l’économie d’une approche globale des questions qu’ils soulèvent. 12 La morale • L’éthique • L’éthicologie L’éthique est devenue une « affaire » à la mode, voire une « bonne affaire » pour quiconque sait en profiter. Cette nouvelle image de l’éthique qui tente de s’imposer de plus en plus, non seulement sous les projecteurs des médias, mais aussi dans les universités et auprès des organismes subventionnaires, suscite plusieurs questions. À tel point qu’une des tâches urgentes de la réflexion éthique contemporaine consiste à adopter, face à la demande éthique actuelle, une position très critique, afin de mettre en lumière la part d’illusion qui l’anime et d’identifier les écueils qui guettent sournoisement ceux et celles qui, dans leur pratique de l’éthique, glissent sur la pente dangereuse de la casuistique. Nous illustrerons d’abord l’importance de cette tâche en attirant l’attention sur une nouvelle mode managériale qui valorise une certaine approche de l’éthique. Nous nous interrogerons ensuite à propos de la demande pressante en matière de déontologie qui se manifeste dans plusieurs secteurs de notre société. 1.1. L’éthique, une bonne affaire Dans le monde des affaires, on considère actuellement l’éthique comme un important facteur de performance, non seulement dans l’organisation interne de l’entreprise mais aussi dans ses relations avec le monde extérieur, les clients et les concurrents. C’est un peu curieux toute cette histoire. Il n’y a pas si longtemps, à ces éthiciens « rêveurs » qui interpellaient les chefs d’entreprise pour leur rappeler leurs devoirs à l’égard de leurs employés et la fonction sociale de toute entreprise, on affirmait avec assurance : « Les affaires sont les affaires ! » Maintenant, on affirme tout aussi péremptoirement : « Good ethics make good business ! » Dans la littérature managériale récente, on enseigne que la sensibilisation à l’éthique contribue à élever le niveau moral des employés. On affirme qu’elle aide, par exemple, à prévenir le vol, le gaspillage et l’absentéisme. Mais il y a plus, et c’est peut-être ce que l’on estime le plus important, on enseigne qu’elle favorise, en vue d’une gestion efficace des ressources humaines, le dynamisme, la synergie, le consensus des employés et des cadres autour d’un projet commun. Projet que l’on présente comme étant bénéfique à l’ensemble de l’entreprise et très payant pour les actionnaires. L’éthique devient ainsi une affaire rentable socialement et économiquement désirable, bref, une bonne affaire. Cette conception de l’éthique que l’on présente sous les projecteurs d’une certaine mode managériale soulève plusieurs interrogations parce qu’elle contribue, dans une certaine mesure, à occulter le type de questionnement qui a traditionnellement caractérisé la réflexion éthique, en La pratique de l’éthique dans la société actuelle 13 paralysant sa capacité d’interpellation et en gommant son...