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Conclusion Des habitudes de langage bien ancrées nous font opposer changement intentionnel et évolution spontanée. Au premier, nous prêtons toutes les caractéristiques d’une action volontaire (anticipation, choix, stratégie, planification et contrôle) pendant que nous paraissons subir la seconde, passivement toujours, inconsciemment la plupart du temps. Dans l’ordre du changement intentionnel, nous allons au-devant des choses, confiants que nous sommes de pouvoir les marquer et les infléchir, d’influencer, sinon de diriger et de contrôler totalement, le fonctionnement et l’orientation de systèmes sociaux d’ampleur variable. Par opposition, l’évolution échappe au contrôle des acteurs, à leurs prédictions et à leurs stratagèmes. Même les observateurs les plus perspicaces sont débordés et dépassés par le cours naturel des événements. L’évolution a trait à des processus émergents. L’effet commun de plusieurs tendances perçues isolément dans un premier temps apparaîtra dans un second temps sous les traits inédits et inattendus d’une conjoncture qualitativement différente — le degré de cette différence et le rythme de son apparition pouvant représenter des conditions fort contrastées du point de vue de l’adaptation des acteurs — de celles qui l’auront précédée, à l’intérieur de séquences temporelles de longueurs variables. Pour bien exprimer le contraste entre le caractère contrôlé et prévu du changement intentionnel, et celui, inattendu, spontané et souvent déroutant, de l’évolution, on pourrait proposer que le changement intentionnel appartient à l’ordre du faire et l’évolution, à celui du devenir. Une réflexion rigoureuse sur la gestion entrevue dans une optique de développement, comme sur le changement planifié ou le gouvernement envisagé historiquement, entraîne rapidement celui qui la mène à renoncer à deux positions extrêmes, symétriques, la toute-puissance et le fatalisme. Nous sommes responsables, à divers titres selon les pouvoirs dont nous sommes nantis, des caractéristiques qualitatives des groupes, institutions et sociétés dont nous faisons partie. Une action positive de notre part peut signifier une importante différence quant à la qualité intrinsèque et au fonctionnement quotidien de systèmes sociaux de taille et de complexité diverses. Un tel lien direct entre notre action et le fonctionnement des systèmes humains n’autorise en rien une conception démiurgique de l’action. La rationalité de celle-ci, même quand elle s’appuie sur la science, comme c’est le cas pour le changement planifié, n’a rien pour nourrir les illusions de toute-puissance inhérentes à 436 Conclusion un certain mécanicisme, dont la métaphore propre est celle de la fabrication en série par des procédés automatiques. Les résultats de l’action au sein des systèmes sociaux — de la dyade à la société globale en passant par le groupe et l’organisation — ne concordent jamais parfaitement avec nos intentions. Une telle disparité entre ce que nous voulons et ce qui se produit réellement ne doit pas, cependant, justifier une attitude fataliste — ni optimiste comme dans le laissez-faire, ni pessimiste comme dans certaines traditions éthiques qui n’accordent aucune valeur à l’action dans le monde et dans l’histoire. Il faut renoncer à la toute-puissance et au fatalisme, conceptions univoques de l’histoire, dont l’une mise tout sur le contrôle rationnel, et dont l’autre n’en attend rien, forte de sa conviction que la sagesse est entièrement faite de réceptivité et d’humilité, toutes deux requises par la reconnaissance, souvent a posteriori, d’un sens clair-obscur derrière l’enchevêtrement des circonstances et des conjonctures, que nos tentatives rationnelles les plus vigilantes ne feront pas paraître les objets faits en série de l’efficacité fabricatrice, dont s’assurent nos techniques les plus sophistiquées de contrôle de la qualité. Nous ne marquons pas les conjonctures sociales et les trames historiques dont sont faites la vie et l’évolution des collectivités de tous ordres, de la même manière que nos prototypes matériels impriment des formes constantes aux séries d’objets fabriqués qui en dérivent. C’est plutôt à une dialectique en forme de processus qu’il faut songer pour réconcilier deux conceptions du temps, l’intentionnalité et l’évolution. L’intentionnalité ne s’oppose pas à l’évolution : il s’agit de perspectives complémentaires. L’évolution se manifeste...

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