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Gérer La DiFFérence Dans Le Québec britanniQue L’exeMPLe De La LanGue (1760-1840) jean-PhiLiPPe Garneau Professeur au Département d’histoire université du Québec à Montréal [18.227.190.93] Project MUSE (2024-04-25 07:23 GMT) e concept de multiculturalisme ne faisait assurément pas partie du vocabulaire des hommes ayant administré le Québec après la Conquête britannique de 1760. Mais les dirigeants de l’Empire britannique n’ont pas moins été confrontés au problème de la diversité culturelle et de sa gestion au lendemain de la guerre de Sept Ans. Même s’il n’est peut-être pas possible de dégager les racines du multiculturalisme canadien en remontant aussi loin le cours du temps, plonger dans ce passé impérial peut tout de même être utile à condition d’être attentif aux réalités du pouvoir de l’époque. Malgré la relative tolérance religieuse qui prévaut en Angleterre depuis la fin du xviie siècle, la citoyenneté britannique demeure tout de même structurée par une hiérarchie précise des privilèges et des exclusions fondée sur l’allégeance et la confession religieuse (pour ne rien dire des autres formes d’exclusions basées sur le genre, la classe sociale ou la race)1. Mais la géopolitique et le pluralisme colonial forcent les Britanniques à pratiquer dès 1774 les premières brèches dans cet édifice civique foncièrement inégalitaire . Effet généreux de l’«intolérable» Acte de Québec, la reconnaissance de la spécificité canadienne (c’est-à-dire française et surtout catholique)2 constitue pour plusieurs l’expression même de l’acceptation du pluralisme culturel au sein d’un empire sur lequel, un siècle 1. Danièle Frison, Histoire constitutionnelle de la Grande-Bretagne, Paris, Ellipses, 1997; Jean Baubérot et Séverine Mathieu, Religion, modernité et culture au Royaume-Uni et en France, 1800-1914, Paris, Seuil, 2002. 2. Rappelons qu’à l’époque de la Conquête et même avant, l’ethnonyme«canadien» se rapporte à la population d’origine française établie au«Canada», région de la Nouvelle-France qui en viendra à désigner surtout la vallée laurentienne où se trouve l’essentiel de la colonie française de peuplement. Sauf indication contraire, nous référons à cette réalité historique bien différente du Canada de la Confédération. L 24 l L’État canadien et la diversité culturelle et religieuse plus tard, le soleil n’allait plus se coucher3. Même si le contexte américain a joué pour beaucoup dans cette reconnaissance, il s’agissait certes d’un «accommodement» majeur pour la population d’origine française récemment conquise. Mais il faut surtout souligner, je crois, que cette reconnaissance initiale a rapidement nécessité une gestion de la différence dont les paramètres sont demeurés somme toute assez flous et ont causé, à moyen terme, tensions, ressentiments ou même replis identitaires. C’est surtout là que se joue le véritable travail d’accommodement qui, malgré la domination britannique, se veut réciproque. En reconnaissant, dans l’espace public colonial, une partie de l’héritage culturel des Canadiens, en porte-à-faux entre la réalité coloniale et la culture anglaise de l’Empire, les dirigeants britanniques renvoyaient dos-à-dos les groupes en présence, avec leurs différences et leurs insatisfactions mutuelles. C’est comme historien du droit que je me suis intéressé à cette question. Ma réflexion a surtout porté sur l’impact que cette diversité a eu sur la justice et la culture juridique au tournant du xixe siècle. Avec la religion catholique, le droit civil français est en effet l’un des éléments du patrimoine culturel des Canadiens que Londres reconnaît en 17744. Les tribunaux deviennent alors le lieu d’un singulier compromis entre les univers culturels français et anglais, qui ne va pas sans susciter de nombreuses difficultés ni sans provoquer une lutte récurrente au sein des élites coloniales5. Le thème de ce colloque me permet d’élargir un peu la perspective en interrogeant plus généralement le rôle des institutions étatiques coloniales dans la gestion des différences culturelles du Québec britannique au tournant du xixe siècle. Cette contribution montre que l’initiative des élites coloniales et la...

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