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Chapitre 2 - Le gestionnaire public à l'ère de l'institutionnalisation des entreprises et de la managérialisation des institutions publiques: Un réexamen axiologique et épistémologique
- Presses de l'Université du Québec
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C h ap i t r e LE GESTIONNAIRE PUBLIC À L’ÈRE DE L’INSTITUTIONNALISATION DES ENTREPRISES ET DE LA MANAGÉRIALISATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES Un réexamen axiologique et épistémologique Alain Charles Martinet Professeur Euristik – Université de Lyon – France Résumé Depuis vingt-cinq ans se produit un triple mouvement, presque partout dans le monde : le démantèlement et la managérialisation des institutions publiques, une pseudo-institutionnalisation des entreprises privées et un développement du tiers secteur. Le management issu de l’entreprise privée tend à s’infiltrer dans toutes les formes d’organisation. Le présent chapitre invite à une réflexion épistémologique et axiologique, rendue indispensable par ces évolutions afin de mettre au jour les fondements sur lesquels elles reposent. Leur influence sur les gestionnaires privés, publics ou « hybrides » est ensuite discutée. 50 Le métier de gestionnaire public À propo s de l ’auteur Alain Charles Martinet est professeur des universités en France (classe exceptionnelle ). En poste à l’Université Jean-Moulin de Lyon, il est responsable de l’équipe de recherche en stratégie Euristik, après avoir cofondé et dirigé pendant de nombreuses années un laboratoire associé au CNRS et un programme doctoral de gestion. Il est l’auteur de nombreuses publications en stratégie et en épist émologie de la gestion; ses travaux actuels portent sur la gouvernance, la responsabilit é sociale, le développement durable, le tiers secteur et la philosophie du management. Il a été président de plusieurs associations savantes. Courriel : martinet@univ-lyon3.fr [23.20.51.162] Project MUSE (2024-03-29 11:56 GMT) Le gestionnaire public à l’ère de l’institutionnalisation des entreprises 51 INTRODUCTION Après vingt-cinq ans de politique économique et sociale keynésienne et de compromis fordiste, la plupart des démocraties libérales sont entrées, à partir des années 1970, dans une phase nouvelle que beaucoup d’analystes appellent néolibéralisme. Inspirées par l’École de Chicago, les politiques drastiques de R. Reagan et de M. Thatcher aux États-Unis et en GrandeBretagne ont essaimé dans l’espace anglo-saxon, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, avant d’affecter peu ou prou tous les gouvernements , y compris socialistes, comme l’illustre la France des années 1980. L’effondrement du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et la conversion plus ou moins brutale des pays de l’Est à l’économie de marché étendent et accélèrent l’ensemble des processus et des décisions qui caract érisent la doctrine : déréglementation, désintermédiation bancaire et développement exponentiel des marchés financiers, privatisation systématique des entreprises publiques, voire captation oligarchique des biens d’État comme en Russie, démantèlement de l’État-providence et critique récurrente de l’assistanat social, politiques de libre-concurrence, sophistication sans précédent des institutions et des instrument financiers… Pour notre propos, ces mutations se traduisent par trois phénom ènes majeurs : extension et pénétration en profondeur des organisations marchandes, démantèlement des institutions, organisations et entreprises publiques et, en partie conséquence des deux précédents, prolifération et diversification des activités et organisations hybrides regroupées de façon malaisée et floue sous les étiquettes de tiers secteur, économie sociale et solidaire, voire société civile. Rendue possible par l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, c’est-à-dire la numérisation électronique, stade suprême de la calculabilité, la financiarisation du management, de l’entreprise, des économies et des sociétés, caractérise ce nouveau stade du capitalisme que l’on peut appeler « fondiste », tant il semble activé par les fonds de pension et d’investissement. Mais cette financiarisation est aussi le produit d’un capitalisme cognitif dont on peut repérer les attributs: virtualisation et dématérialisation de l’économie, caractère moteur des techno-sciences et de l’ingénierie de valorisation des innovations, appropriation des connaissances par des processus enchevêtrés, économie de variété et d’apprentissage, traçabilité et intégration rapide des comportements du consommateur, entrelacs complexes entre la cognition, le matériel, le logiciel et le réseau, effacement des lignes de partage capital/travail, qualification/compétence, crise des droits de propriété intellectuelle comme des critères de mesure des performances individuelles… (Moulier-Boutang, 2007). 52 Le métier de gestionnaire public...