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C H A P I T R E 7 UNE VULNÉRABILISATION QUI REND VULNÉRABLE AU VIH/SIDA Michel Perreault Au cours de la dernière décennie, s’il est une notion qui s’est imposée comme mode de lecture du social, c’est bien la vulnérabilité. Occupant, avec l’exclusion, l’avant-scène des débats politiques et publics, cette notion est en effet devenue un mot-clé servant à désigner un important malaise social. Clément et Bolduc, 2004, p. 61 Cette citation de Michèle Clément et Nadine Bolduc met le doigt, au-delà du malaise social, sur le malaise que peut avoir un chercheur à utiliser, dans le domaine des sciences sociales appliquées à l’étude des phénomènes de santé, des concepts reliés à la notion même de vulnérabilité. Pourtant, il s’agit bien d’une conception à laquelle on peut difficilement échapper dès que l’on fait des recherches sur la prévention du VIH/sida avec des populations marginalisées. Il s’agit donc ici d’identifier les sources d’un tel malaise et d’examiner des pistes pour éliminer ce malaise, ou à tout le moins l’atténuer, ce que je ferai en parlant de vulnérabilisation plutôt que de vulnérabilité et en analysant les principaux processus de vulnérabilisation qui rendent certaines populations vulnérables au VIH/sida. 150 PENSER LA VULNÉRABILITÉ 7.1. LA VULNÉRABILITÉ COMME RELÉGATION SOCIALE Il y a d’abord un malaise à utiliser une catégorie sociale comme celle d’individus et de populations vulnérables, car c’est forcément utiliser une catégorie de désignation sociale, avec des risques certains de relégation sociale et, pratiquement, de ghettoïsation. Une telle catégorisation est particuli èrement dangereuse quand on l’utilise dans la prévention face à un problème épidémique comme le VIH. J’ai montré ailleurs (Perreault, 1994a) toute la difficulté d’utiliser un modèle épidémique à cause des conflits sociaux et des dangers d’extermination (le mot n’est pas trop fort) qu’il contient: les premières années de l’apparition du sida furent des années de luttes pour l’adoption d’un modèle épidémique mondial, le premier d’ailleurs, qui a contribué par la suite à la «normalisation» de cette menace sans précédent dans l’histoire de l’humanité, mais qui ne nous met pas à l’abri (Perreault, 1994b) d’autres menaces fort probablement à venir (on n’a qu’à penser au syndrome respiratoire aigu sévère, SRAS). Le concept même de populations vulnérables possède le même potentiel que celui de populations à risque pour «sécuriser» les individus et les populations qui ne peuvent s’imaginer à risque, en reléguant justement les «autres», les non conformes, au-dehors, dans une géographie d’exclusion (Sibley, 1995). On connaît les effets stigmatisants d’une telle relégation, mais on s’attarde moins aux effets que cela a chez les personnes et les populations qui ne sont pas considérées, ou qui ne se considèrent pas, comme vulnérables, ou à risque, ces deux termes s’équivalant, règle générale, dans le champ de la santé: ces personnes et ces populations se sentent «protégées» et agissent souvent dans une ignorance quasi complète de ce qui peut les menacer. On a bien vu les risques énormes de dérapage que cette dichotomisation entre populations «vulnérables» et populations«normales» peut amener lorsque l’Hôpital Sainte-Justine à Montréal a dû, en janvier 2004, annoncer publiquement que des milliers d’enfants devaient subir un test de dépistage du VIH pour vérifier si un chirurgien atteint du VIH ne le leur avait pas transmis. Heureusement (!) il s’agissait d’une chirurgienne (et non pas d’un médecin «gai»), ce qui a tout de suite calmé les esprits, mais qui a révélé du même coup une ignorance et une distance incommensurables face à ce phénomène qui a quitté il y a quelque temps seulement le devant de la scène publique. J’ai dénoncé, en vain, à de multiples reprises (Perreault, Reidy et Taggart, 1994) l’absence au Québec de campagnes publiques de sensibilisation au VIH susceptibles de désamorcer ou d’atténuer d’aussi dangereuses distanciations sociales. En effet, les campagnes grand public au...

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