In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

C H A P I T R E 3 VULNÉRABILITÉ SOCIALE ET CRISE DU POLITIQUE Jacques Beauchemin Les contributions que l’on trouvera dans cet ouvrage viennent pour la plupart de spécialistes de la question de la vulnérabilité sociale, statut auquel, pour ma part, je ne saurais prétendre. Je vais plutôt tenter d’examiner la question de la vulnérabilité à la lumière de ce que l’on pourrait appeler sa«dépolitisation» dans le contexte néolibéral contemporain et de sa «repolitisation » potentielle dans l’idée de bien commun. La réapparition de la notion de bien commun dans le discours politique manifeste peut-être en effet un certain ressac consécutif à la frén ésie néolibérale des années 1980 et 1990. La résurgence de la notion me semble ainsi témoigner de préoccupations elles-mêmes engendrées par les conséquences d’une forme de régulation sociale dont on commence à apercevoir les effets corrosifs sur le lien social (Stiglitz, 2002)1. Plus exactement , la marchandisation de l’existence sociale provoque une prise de conscience du fait que c’est la société en tant qu’être-ensemble qui est peut-être menacée et, avec elle, les liens de solidarité qui sont l’essence même de toute vie en commun. Si cette hypothèse est valable, il se pourrait 1. Par ailleurs, certains ont souligné, et cela ne va pas sans soulever un certain malaise, que l’attaque contre les tours jumelles du World Trade Center et la riposte anti-terroriste qu’il a fallu déployer ont démontré à leur triste façon les «vertus» de l’interventionnisme étatique. 52 PENSER LA VULNÉRABILITÉ bien que la lutte contre la vulnérabilité puisse désormais être menée au nom du bien commun en tant que cette notion exprimerait le nouveau fondement éthique de l’ «être-ensemble» de nos sociétés. Il reste cependant du chemin à parcourir avant que la vulnérabilité redevienne, comme elle l’a été durant l’âge d’or de l’État-providence, un problème «social» dont la solution était, elle aussi, «sociale». Il y a fort à faire si nous voulons déconstruire l’individualisme néolibéral qui constitue le zeitgeist des sociétés contemporaines. Tant les nouvelles modalités de régulation sociale inspirées du «désengagement» de l’État que le travail des sciences sociales sur le «retour de l’acteur» (Touraine, 1984), le «procès de personnalisation» (Lipovetsky, 1992) ou encore le «temps des tribus» (Maffesoli, 1991) dessinent un monde marqué par l’individualisme. Mais si l’on ne s’étonne plus de constater les avancées de l’individualisme résultant de politiques sociales qui prennent de plus en plus souvent l’individu pour cible (Bourque et Beauchemin, 1994), on se surprend davantage de voir les sciences sociales renoncer au «sociologisme» à l’intérieur duquel Durkheim, par exemple, situait l’explication de l’anomie à laquelle on peut associer la vulnérabilité sociale, si l’on accepte que la béance dans laquelle se trouvent certains individus entre réseaux de proximité et soutien institutionnel relève du dysfonctionnement dans une société impuissante à les intégrer. Je vais tenter, en trois temps, d’établir le lien entre la résurgence de la notion de bien commun et son rapport avec la vulnérabilité sociale. J’aborde, en premier lieu, la définition et la portée de la notion elle-même. Je poursuis ici deux objectifs. Il s’agit d’abord de remonter aux sources de la représentation du bien commun en tant qu’il exprime le commun contre le particulier, en tant surtout qu’il suppose, sur le plan ontologique, une certaine idée de l’antériorité de la société sur les membres qui la composent et, par là, la nécessité de la protéger en tant que matrice de sens et lieu d’institutionnalisation des rapports sociaux. J’examine, ensuite, les raisons pour lesquelles cette notion est tombée en désuétude après la Seconde Guerre mondiale alors que les ruines encore fumantes de ce conflit semblaient exhiber la faillite de la société moderne. Je voudrais chercher dans l’air du temps les linéaments d’une représentation individualiste du destin des acteurs sociaux consécutive à l’épuisement de l’idéal de solidarité sociale dont nos soci...

Share