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C H A P I T R E 3 LES NOUVEAUX RÉSISTANTS À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE Entre utopie sociale et déterminisme technique Fabien Granjon La discorde sociale n’est pas soluble dans l’harmonie communicationnelle. Daniel BENSAÏD, Les Irréductibles, 2001. 60 L’action communautaire québécoise à l’ère du numérique Nous proposons ici une critique de certaines constructions théoriques qui prétendent expliquer les transformations actuelles de l’organisation sociale et les nouveaux cadres productifs des sociétés fortement informatis ées en recourant à l’hypothèse de l’avènement d’un capitalisme cognitif. Nous pensons que ces analyses déploient une vision trop marquée par une approche déterministe technique. Notre regard critique se porte ensuite vers certaines minorités actives du mouvement communautaire qui visent à résister concrètement à la mondialisation capitaliste. Bien que porteurs de radicalité, ces groupes activistes se laissent parfois gagner par l’utopique espoir d’un changement de société qui serait nécessairement occasionné par le progrès technique à travers la constitution de mondes communs renouvelés. Ce serait le cas des mobilisations informationnelles identifiées au média-hacktivisme et au postmédiatisme. 3.1. LIMITES DES ANALYSES EN TERMES DE CAPITALISME COGNITIF Les plus récents discours de légitimation du capitalisme postulent l’émergence d’une «nouvelle société» qui serait la caution d’un monde plus solidaire1. Dans celle-ci, la double obligation d’améliorer les conditions de vie et d’assurer le maintien du lien social serait reléguée à la technique, au réseau et au marché. Force est toutefois de constater que ni l’utopie d’une société de la communication, ni les mutations technologiques ne préviennent ni n’empêchent les inégalités sociales. Elles ne sont pas non plus à même de modifier les rapports de domination dans les sociétés capitalistes. Le discours moderniste promoteur des mutations technologiques laisse supposer une large distribution des bénéfices sociaux et économiques à l’ensemble des catégories sociales. Or, ce discours ne cesse d’être contredit par les réalités sociales où le fétichisme marchand et la réification marquent la vie de leur empreinte (Honneth, 2007). Au plan idéologique, les promoteurs de la prétendue société de l’information font de l’émergence de nouveaux systèmes techniques l’une des clés pour comprendre les transformations de l’organisation sociale (Proulx, 2007). Dans une veine plus progressiste, les tenants du capitalisme cognitif (Corsani, Moulier-Boutang, Vercellone…) 1. Une partie de cet article est une reprise remaniée et augmentée d’une contribution au dossier thématique du n° 18 de la revue ContreTemps, consacré à la «société de l’information» (décembre 2006). [18.224.32.86] Project MUSE (2024-04-25 12:29 GMT) Chapitre 3 Les nouveaux résistants à l’ère du numérique 61 reprennent tout de même à leur compte certains des postulats des théories libérales, notamment les analyses qui supposent l’émergence d’une société marquant la fin des conditions habituelles de la production industrielle (épuisement du régime fordiste), ainsi que la fin des idéologies et des formes d’action collective héritées du mouvement ouvrier, caractéristiques des sociétés modernes de masse. Si les analystes du capitalisme cognitif ne sont pas les héritiers des Friedrich von Hayek, Daniel Bell, Edward Shils ou Raymond Aron, ils actualisent néanmoins certaines de leurs prévisions performatives: prépondérance de l’économie de service et du travail immatériel, tertiarisation de l’emploi, hégémonie des manipulateurs de symboles, importance décisive de la connaissance et de l’innovation pour le développement social, propagation d’une intellectualité diffuse. Les postulats théoriques du capitalisme cognitif sont aussi fondés sur l’idée de l’avènement d’une «troisième révolution industrielle», marquant l’émergence de rapports de production propres, d’un régime d’accumulation spécifique et d’une dynamique nouvelle dans les sociét és salariales. Le progrès technique et l’avènement concomitant d’une«intellectualité diffuse» sont présentés comme étant au cœur de cette présumée mutation historique du capitalisme. Cette «intellectualité diffuse» correspondrait «à la montée du travail immatériel et intellectuel et à la remise en cause des formes de la division...

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