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ChapItre 7 Comment bel et bien vivre? Tout le monde est toujours le premier à mourir. Ionesco Sur le fronton du temple de Delphes1 , on avait écrit: «Connais-toi toim ême.» Cette inscription invitait quiconque y entrait à «prendre soin de soi», à «se soucier de soi». Socrate fit de ce précepte la base de son enseignement. prendre soin de soi, qu’est-ce à dire? Dans l’esprit des grecs d’alors, c’était l’art de se forger soi-même. D’où la question que Socrate adresse à alcibiade: «par quel art pourrions-nous prendre soin de nous-mêmes2 ?» ou formulée autrement: «par quel art s’amélioret -on soi-même3 ?» montaigne a souligné avec beaucoup de justesse que «la plupart de nos vacations sont farcesques4», c’est-à-dire qu’elles relèvent du théâtre. En fin observateur, il écrit au sujet de ses contemporains: «Notre monde n’est formé qu’à l’ostentation: les hommes ne s’enflent que de vent, et se manient à bonds, comme les ballons5 .» Cette remarque garde encore 1. Ce chapitre a fait l’objet d’une première ébauche dans la revue RÉSEAUX (revue interdisciplinaire de philosophie morale et politique). pierre FortIn, «L’œuvre de soi ou comment bel et bien vivre», dans RÉSEAUX, nos 73-74-75 (1995), p. 31-40. 2. pLaton, Premier Alcibiade. traduction et notes par e. Chambry. paris, garnierFlammarion , 1997, 128d, p. 156. 3. Ibid., 129a, p. 157. 4. michel de montaIgne, Essais, III, 10, p. 283. 5. Ibid., III, 12, p. 316. 110 L’œuvre de soi toute sa pertinence aujourd’hui. Afin de se retrouver et de s’appartenir, il lui apparaissait essentiel de se «réserver une arrière-boutique6 » bien à lui, où il pourrait le plus souvent possible se retirer dans la solitude et la réflexion. De plus, à cause de la nature particulière de la matière sur laquelle porte l’œuvre de soi, il estimait que ce n’était pas d’abord dans les livres qu’il fallait puiser les ressources pour y parvenir – au mieux, à partir de quelques témoignages – mais en s’éprouvant soi-même. Dès lors, comment faire de sa vie une œuvre qui ne soit pas le produit des moules du prêt-à-penser et du prêt-à-agir, comme il s’en trouve à des milliers et des milliers d’exemplaires? Comment parvenir, à la manière de l’artisan ou de l’artiste, à faire de sa vie une œuvre unique qui s’esquisse au fil des ans, au cours de la conquête lente, progressive et éprouvante de la liberté et de la paix intérieures? telles seront les deux principales questions qui animeront les réflexions qui suivent sur l’art de conduire sa vie le plus heureusement possible et de faire d’elle un bel et bon ouvrage. L’œuvre de soi consiste à débroussailler, puis à labourer son«monde» intérieur afin d’y bâtir sa maison. Et d’y aménager un jardin, son jardin. pour y parvenir, il faut apprendre à apprivoiser sa «nature» afin d’y tirer les meilleurs fleurs et fruits possibles, en sachant composer avec le paysage ambiant, les jeux d’ombre et de lumière qu’engendre la condition humaine, les caprices du temps et le rythme des saisons qui scandent sa vie. Ce jardin intérieur bellement aménagé apparaîtra certes au fil des jours comme une œuvre de raison, mais aussi comme l’expression d’une sensibilité vive et généreuse. Afin de préciser ce qu’est l’œuvre de soi, il importe d’abord d’insister sur la nécessaire rencontre de l’éthique et de l’esthétique en vue de la mise en œuvre d’un art de vivre conçu comme expression d’une création personnelle, puis de dégager ce qu’impliquent, comme dispositions intérieures, la pratique de soi et les principales exigences qui en découlent. L’art de vivre dont il s’agit consiste principalement à jouer à fond le jeu de la finitude, en assumant lucidement et courageusement les paradoxes de la vie, et de la vie avec autrui. Vivre bel et bien sa vie devient s’écrire, surmonter avec succès l’épreuve du feu et se tenir debout et libre. 6. Ibid., I, 39, p. 359. [52.14.22.250] Project MUSE (2024-04-25 02:53 GMT) Comment bel et bien vivre? 111 L’éthique et l’esth...

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