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C H A P I T R E 3 LE GRAND ÂGE Chance ou déchéance? Richard Lefrançois Université de Sherbrooke 1. INVITATION À UN DÉPASSEMENT Cette modeste contribution se présente avant tout comme un hommage aux personnes très âgées, à leur courage, à leur sensibilité et à leur vitalité. Elle invite à jeter un regard critique sur les représentations de la grande vieillesse, tout en proposant une réflexion anthropologique sur la place des vieillards dans la société. Notre regard est complice de l’ambition d’une société solidaire, fraternelle, exempte de discrimination, un projet qui serait porteur de sens et de direction, et qui inscrirait la vieillesse dans la normalité et la continuité des différentes étapes de la vie. Elle nous renvoie par conséquent au non-sens de l’image dégradante du vieillard. D’entrée de jeu, nous sommes conscient de nous engager sur un terrain miné par trois irritants qui vibrent au diapason : l’âgisme, le misérabilisme et la gérontophobie. En effet, force est d’admettre que, dans nos sociétés, l’âge avancé rebute, angoisse et dérange. Pour reprendre les mots de Jacques Pellissier : « La nuit, tous les vieux sont gris. C’est dire qu’ils le deviennent, dans une société âgiste et inadaptée qui les conduit de plus en plus souvent à perdre la mémoire, la raison et le goût de vivre1. » 1. J. Pellissier (2003). La nuit, tous les vieux sont gris. La société contre la vieillesse, Paris, Éditions Bibliophane-Daniel Radford. Présentation de l’éditeur. 58 PAS DE RETRAITE POUR L’ENGAGEMENT CITOYEN En dépit des perspectives plus réjouissantes ou optimistes diffusées par certains gérontologues notamment, des lectures qui magnifient les vertus de l’âge avancé, telles que l’expérience, la maturité et la sagesse, et qui tentent désespérément de faire contrepoids au discours négatif dominant , le vieillard apparaît toujours comme un être foncièrement incompatible avec les modèles de société prescrits. Alors qu’on souhaiterait que nos vieillards soient drapés de respect et de vénération, ils continuent au contraire d’être perçus négativement, voire d’être dépeints comme l’image inversée du plaisir. En plus de les considérer comme inutiles et obsolètes, on les imagine prisonniers dans une boucle infernale de souffrance et de privations. Dans le monde occidental d’aujourd’hui, on assiste ainsi à une médiatisation sans précédent de la sénescence, envisagée soit comme phénom ène biologique, expérience biographique ou attribut démographique . Les débats enflammés sur le sujet se succèdent, pendant que foisonnent les thèses alarmistes ou comminatoires quant aux conséquences socioéconomiques du vieillissement. Ceux qui affichent un discours glorifiant, dans lequel le vieillard est adulé et porté aux nues, ou ceux qui proposent un point de vue plus nuancé au regard des impacts appréhendés du vieillissement éprouvent bien du mal à se faire entendre. Le plus préoccupant tient à la persistance des stéréotypes négatifs et des comportements ancrés qui induisent la dévalorisation de l’âge avancé et le dénigrement des vieillards. Ces élans de mépris peuvent évidemment ouvrir la voie à la maltraitance. Or, ce sont précisément les personnes très âgées qui nous inquiètent le plus, parce qu’elles sont souvent fragiles, vulnérables et en situation de « dépendance ». Elles deviennent par le fait même des cibles privilégiées, susceptibles de servir de boucs émissaires, donc d’exutoire à la crise démographique annoncée. L’obsession actuelle de la vieillesse se comprend enfin à travers la hantise de sa propre dégradation physique ou mentale, ou encore l’appréhension projetée d’abandon. Ce sont autant de craintes irraisonnées que vient amplifier un jeunisme réconfortant et socialement consacré. Point étonnant dès lors que les pseudo-solutions anti-aging soient de plus en plus offertes ou sollicitées. Tant bien que mal, elles tentent de maquiller les ravages du temps, en s’employant à repousser l’échéance de ce qui est perçu comme une déchéance. Chaque société cultive un modèle d’homme idéal dont dépendent les représentations de la vieillesse démographique et la perception du vieillissement...

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