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11. La métaphore et l’idée musicale : proximités et détours
- Presses de l'Université du Québec
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L A R E C H E R C H E C R É AT I O N Préoccupations méthodologiques liées au travail de conception et de création La métaphore et l’idée musicale Proximités et détours André Villeneuve, professeur Département de musique Université du Québec à Montréal Quelle est donc cette singulière association? Quel rapprochement, quelle proximité traduit cette conjonction: la métaphore «et» l’idée musicale? D’emblée, il importe de préciser que par «idée musicale», j’entends ici à la fois le matériau thématique d’une œuvre et l’œuvre elle-même, l’une étant le déploiement de l’autre. Quel horizon offre alors la métaphore dans la conceptualisation d’une idée musicale et, par conséquent , de l’œuvre elle-même? En quoi, en matière de composition musicale , la métaphore, en sa fonction dynamique de «transport, de transposition de sens» (si l’on se réfère en cela à l’étymologie latine du mot, «metaphora»), en quoi est-elle une ressource pour la pensée? Établissons un parcours et rendons compte de ce dernier, et ce, dans le but d’appréhender avec plus de clarté – un effort d’objectivation en quelque sorte – le tracé des réflexions préalables à l’acte de composer tel qu’il se présente à nous. Céder à l’idée musicale est d’abord céder à l’abstraction. Céder au langage musical est céder à la nécessité absolue d’établir un pont entre l’abstraction originelle d’une idée et sa concrétude sonore, l’œuvre. La 11. 136 | LA RECHERCHE CRÉATION question de l’édification de ce pont – qui est l’acheminement d’une idée depuis son abstraction originelle jusqu’à sa concrétisation, l’œuvre – est fondamentalement une quête de la cohérence (au sens dynamique de l’étymologie du mot, «cohaerens», qui est «rattaché à, soudé à»). Ainsi, ce pont à créer entre l’abstraction originelle de l’idée et sa mise en marche temporelle, vibratoire, en l’œuvre, se réclame-t-il non seulement d’une édification rationnelle par divers moyens techniques et syntaxiques propres au langage musical, mais aussi d’une manifestation irrationnelle de la psyché du compositeur où souhaits et intentions d’expressions privilégiées doivent céder aux impératifs de l’écriture, aux contraintes qu’elle impose. Toute quête d’adéquation entre Idée et Œuvre est ainsi mesurée par une volonté d’accomplissement entraînant avec elle l’imposition d’un dilemme, d’un questionnement: «Ferai-je ceci ou cela?» La résolution de ce «ou» – dont on pourrait même tirer un schéma heuristique – est orientation de la pensée: je m’oriente vers ce choix ou cet autre, vers cette idée ou cette autre. La résolution de ce «ferai-je ceci ou cela?» qualifie ce que j’appelle la position temporelle de l’Ouvrier (entendons le compositeur) avant la composition proprement dite de l’œuvre. La résolution de ce «ferai-je ceci ou cela?» qualifie sa démarche réflexive dans cet intervalle de temps habité d’intuitions sonores et de lueurs d’idées, qualifie cette zone immense de liberté ludique et de clartés intuitives, cet intervalle de temps antérieur à tous les parcours possibles, antérieur à celui élu entre tous qui le portera vers le site de l’œuvre à construire, à élaborer. Cette démarche réflexive en est une de précomposition de l’œuvre. En l’absence de toute fixation de la pensée sur quelques contours précis d’une idée, le compositeur est en quête d’un phare guidant son obstination à saisir l’idée. Lors de cette quête, l’Ouvrier s’accorde parfois en l’absence d’une donnée immédiate d’harmonies, un détour, une substitution salvatrice à son obstination: un recours à un référentiel, un recours au mot salutaire – énoncé métaphorique – qui se substituerait à l’expression sonore de l’idée recherchée mais non encore énoncée adéquatement . Dans le cours de cette quête de l’expression juste de l’idée musicale, souhaitant saisir dans la matérialité même de l’écrit sonore l’impond érable des manifestations originelles de l’idée, le compositeur porté alors par un singulier désir de coh...