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Les interactions industrie-université Essai de repérage historique (xixe-xxe siècles) 5 Kenneth Bertrams Depuis les années 1970, les universités sont fréquemment appelées à «valoriser» les résultats de la recherche scientifique telle qu’elle se pratique dans la plupart des départements universitaires. Par valorisation , il convient d’entendre non pas simplement une quelconque forme de mise à disposition des travaux de recherche dans le domaine public par voie de publication – versant essentiel de la pratique du chercheur universitaire –, mais, plus prosaïquement, l’insertion des fruits du savoir dans un processus de commercialisation. Soulignons que ces requêtes, inlassablement répétées avec le temps, émanent tant des pouvoirs publics que privés, voire des milieux universitaires eux-mêmes. Le concept de valorisation s’est progressivement affiné jusqu’à constituer l’un des axes majeursdéployésparl’institutionuniversitaireàl’égarddelacommunauté dans laquelle elle s’inscrit. De telle sorte que cette dimension économique s’apparente désormais à la troisième mission de l’université, celle des«services» rendus à la communauté, après l’enseignement et la recherche. Elle permet en outre d’accréditer l’émergence d’un nouveau type d’universit é (ou plutôt de paradigme universitaire), l’université entrepreneuriale, dont l’impact symbolique dépasse largement les prétentions programmatiques . Par le biais d’une exploitation performative des structures symboliques du langage, le vocabulaire entrepreneurial tend, en effet, à s’immiscer et à faire souche dans les discours d’un nombre toujours croissant de responsables politiques et d’administrateurs d’universités. 1. H. etzkowitz, a. weBster, C. geBhardt, t. Castisano et B. regina, «The Future of the University and the University of the Future: Evolution of Ivory Tower to Entrepreneurial Paradigm», Research Policy, 29 (2000), p. 313-330. 90 Chapitre 5 Conformément aux préceptes d’une gouvernance rationnelle, la conception entrepreneuriale de l’université encourage l’accroissement des pratiques de valorisation des résultats de la recherche scientifique2. Force est de constater, cependant, que la démarche de commercialisation des produits de la recherche ne concerne que des pratiques effectuées au sein de certains départements (sciences appliquées, sciences médicales et pharmaceutiques) et ne sont elles-mêmes le fait que d’une minorit é de professeurs et de chercheurs actifs dans ces domaines. Ce régime s’est toutefois renforcé depuis les années 1980 à travers l’adoption par la plupart des universités d’une politique de développement technologique résolument volontariste (création de spin-off et d’incubateurs, installation de parcs scientifiques destinés aux entreprises, etc.) qui visait notamment à compenser la baisse tendancielle des dépenses publiques affectées aux établissements d’enseignement supérieur3. Le pli a donc été rapidement pris de prendre la partie pour le tout, les nouveaux instituts technologiques pour l’ensemble des centres de recherche universitaires, les disciplines débouchant sur des applications concrètes pour la «nouvelle production de la connaissance»4. Cette distorsion des perspectives a incontestablement facilité l’ancrage de l’antienne entrepreneuriale au sein même du paysage académique et son relais auprès des milieux publics et privés. Un autre écueil se profile à la lecture des textes reproduisant une conception entrepreneuriale de l’université (dont l’exemple le plus caract éristique est sans doute la déclaration de Glion sur «L’université à l’aube du millénaire» élaborée en 1999)5. Leurs signataires poursuivent un même objectif consistant à sortir l’université – son personnel comme sa production scientifique – de la tour d’ivoire dans laquelle elle s’était confortablement installée et à en faire un acteur institutionnel performant de la«société de la connaissance» du xxie siècle. Manifestement, la représentation de l’université comme tour d’ivoire apparaît comme le terminus a quo d’un processus dont les attributs principaux sont la modernisation de la structure et la rationalisation de l’organisation. Cette technique rhétorique qui discrédite une valeur référentielle pour mieux la dépasser permet non seulement de conférer aux projets de réforme en vigueur une dimen2 . Voir D.A. keast, «Entrepreneurship in Universities: Definitions, Practices, and Implications», Higher Education Quarterly, 49, 3 (1995), p. 248-266. 3. S. shane, Academic Entrepreneurship: University Spinoffs and Wealth Creation, Cheltenham, 2004, p. 40 et ss. 4. M. giBBons, C. limoges, h. nowotny, s. sChwartzman, P. sCott et M. trow, The New Production of Knowledge: The Dynamics of Science and Research in...

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