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C H A P I T R E 11 DES RATIONALITÉS PROFANES À LA COMPRÉHENSION DU MÉSUSAGE DES MÉDICAMENTS ANTIHYPERTENSEURS Michelle Proulx Université de Montréal L’inobservance médicamenteuse a sans doute été le facteur le plus souvent invoqué pour expliquer la difficulté à normaliser l’hypertension artérielle (Oliveria et al., 2002). Cet aspect de l’inobservance médicamenteuse présente assurément un intérêt pour les cliniciens et les chercheurs, d’autant plus que l’hypertension artérielle (HTA) est désormais reconnue comme un problème de santé répandu à l’échelle mondiale, occupant le troisième rang comme facteur responsable d’une forte proportion des décès, après la malnutrition et le tabagisme (Campbell et al., 1999). L’inobservance médicamenteuse a elle-même été largement documentée dans les sciences médicales depuis quarante ans, sans toutefois que les études n’aient produit des résultats pleinement satisfaisants (Donnovan et Blake, 1992). Les études qui se destinent aux personnes hypertendues ont été pour l’essentiel de type quantitatif et mettent en lumière de multiples facteurs associés à l’inobservance aux médicaments antihypertenseurs. On y compte les caractéristiques sociodémographiques, la spécificité de l’HTA (nature asymptomatique de la maladie), les contraintes du médicament (effets secondaires, inefficacité à stabiliser la pression artérielle), les dimensions cliniques (qualités relationnelles et de communication) et le 248 LE MÉDICAMENT AU CŒUR DE LA SOCIALITÉ CONTEMPORAINE soutien des proches (Allen, 1998 ; Caro et al., 1997 ; Chockalingam et al., 1998 ; Freis, 1999 ; Garrity, 1981 ; Haynes, 1979 ; Kruse et Weber, 1990 ; McClellan et al., 1988 ; Vaur et al., 1999). Ces études présentent cependant certaines limites en ce que leurs résultats, d’une étude à l’autre, ne rendent compte généralement que de quelques facteurs d’influence à la fois. Certaines approches de recherche, issues cette fois de l’anthropologie ou de la sociologie, ont été éclairantes à cet égard. Les études anthropologiques se préoccupent des significations que les individus attribuent aux symptômes et à la maladie et la manière dont ces significations (p. ex. les représentations et les perceptions des individus) se traduisent en action. Quatre d’entre elles ont cherché précisément à explorer l’inobservance médicamenteuse chez des « hypertendus » et présentent des modèles étiologiques similaires de l’HTA : un modèle psychosocial (Massé, 1995) qui définit l’HTA comme une maladie causée par les nerfs, un stress intense au cours de périodes de la vie, un stress relié au travail ou une accumulation de stress de la vie normale ; et un modèle physique/héréditaire qui associe l’HTA à un problème causé par une mauvaise alimentation (sel, surpoids, consommation d’alcool, etc.) et par des facteurs héréditaires (Blumhagen, 1980 ; Greenfield et al., 1988 ; Heurtin-Roberts et Reisen, 1992 ; Morgan et Watkins, 1988). Ces études présentent toutefois des résultats contradictoires sur le lien entre l’un ou l’autre de ces modèles et l’inobservance médicamenteuse. D’autres études sociologiques tendent pour leur part à considérer le contexte social dans lequel évolue l’individu pour expliquer la prise irrégulière du médicament et explorent le sens qui est donné au médicament dans la vie quotidienne de l’individu. La prise irrégulière du médicament sera ainsi conceptualisée comme un choix raisonné, selon l’évaluation que fait l’individu des bénéfices (diminution des symptômes, promesse de guérison ou de soulagement à long terme) et des inconvénients qu’il associe à la prise du médicament (effets secondaires, inefficacité). L’inobservance médicamenteuse sera aussi représentée comme une stratégie à laquelle recourent les individus pour tester l’efficacité du médicament (Arluke, 1980) ou encore comme un processus d’autorégulation, soit comme un ensemble de moyens dont se dotent les individus pour composer avec leur maladie (Conrad, 1985 ; Donnovan et Blake, 1992). Aucune de ces études ne se destine cependant à des personnes hypertendues. Or, bien qu’intéressantes, l’ensemble de ces études qualitatives ne rendent pas véritablement compte de la cohérence qui anime la prise irrégulière du médicament. Notre étude a cherché précisément à faire émerger cette cohérence à travers l’exploration fine des rationalités sousjacentes à la prise irréguli...

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