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Où va l’éducation ? Un point de vue français sur les changements technologiques dans l’enseignement Pierre Moeglin Directeur de la Maison des sciences de l’homme Professeur de sciences de l’information et de la communication, directeur du LabSic, Université Paris 13 Reformuler le problème Alors que, dans l’espace public et dans l’espace domestique, les moyens d’information et de communication numériques connaissent une diffusion rapide, quoique socialement et géographiquement inégale, l’espace scolaire reste, quant à lui, en grande partie à l’écart du mouvement. De ce constat, il serait toutefois hâtif de conclure, à la suite de certains technologues et économistes, que l’institution éducative n’aurait d’autre choix que de rattraper un retard dont elle porterait, seule, la responsabilité. Une telle appréciation repose, en fait, sur la thèse discutable (même si elle est largement répandue) selon laquelle une modification radicale des rapports entre éducation et société serait intervenue au tournant des années 1990. L’éducation ne serait plus, d’abord et avant tout, un produit de la croissance économique, comme . L’économiste français Lê Tanh Khoi (1967) est l’un des premiers experts à avoir, en France, insisté sur la nécessité pour l’éducation de recourir, elle aussi, à des outils qui, par la substitution du capital au travail, assurent des gains de productivit é aux autres secteurs de la société. L’argument a été largement repris ensuite, notamment par Jean-Marie Albertini (1992), en France, et par Jaques Lemelin (1998), au Québec. 194 Pierre Moeglin auparavant. Au contraire, elle passe pour l’instrument principal de cette croissance, facteur de dynamisation du «capital humain», vecteur d’une«économie reposant sur la connaissance», à l’heure d’un «capitalisme cognitif » supposé assurer les conditions d’une nouvelle productivité, selon la phraséologie en usage. À l’inverse, l’on ne suivra pas non plus les héritiers d’une autre tradition française, conservatrice et technophobe celle-là, pour lesquels le retard en question ne serait pas seulement inévitable; il serait nécessaire et souhaitable, l’école devant, par principe, garder ses distances par rapport au monde et éviter d’aligner ses manières d’informer et de communiquer sur celles de la société en général. Pourquoi renvoyer dos à dos ces deux positions? D’une part, parce que, dans ce contexte, la référence au retard est sujette à caution. Elle repose, en effet, sur une rhétorique moderniste qui, confondant progrès technique et progrès éducatif, fait comme si le premier entraînait obligatoirement le second. D’autre part, l’hypothèse selon laquelle l’école serait, avec le numérique, confrontée à une révolution technique la heurtant de plein fouet n’est pas conforme à la réalité des relations que le monde scolaire entretient traditionnellement avec les outils d’information et de communication. C’est ce point qui, plus particulièrement, retiendra notre attention. L’histoire de ces relations indique, en effet, que de nouveaux outils et médias ne s’imposent jamais de manière exogène. Ce sont les mutations internes de l’école, la transformation de ses pédagogies, les . Significative est, à cet égard, la règle qu’un expert de la Banque mondiale, Lauritz B. Holm-Nielsen (2001, p. 2) croit pouvoir énoncer, chiffres à l’appui : « Knowledge makes the Difference between Poverty and Wealth ». Reste à se demander pourquoi ce ne serait pas l’inverse… . Sur ce point, voir notamment Yann Moullier-Boutang (2006). . De cette tradition, l’essayiste Alain Finkielkraut (1987) s’est fait, de longue date, l’un des principaux porte-parole. Dans une tout autre perspective, l’on trouve aussi chez Pierre Bourdieu et chez plusieurs des chercheurs qui le suivent en ces matières les traces d’un raisonnement assimilant technologie et industrie, puis industrie et marché, pour faire, en fin de compte, des campus numériques, par exemple, les vecteurs de la privatisation de l’université (de Montlibert, 2004 ; Garcia, 2003, etc.). . Sur ce point, voir Julie Bouchard (2006, p. 118) : « Le discours sur le retard est une ‘‘rhétorique de l’insuffisance et du changement’’, qui ne renvoie pas simplement à un état de fait, mais comporte implicitement ou explicitement une double dimension d’énonciation et de dénonciation d’une réalité stigmatisée par le vocable de ‘‘retard’’. » [18.217.228.35] Project MUSE (2024-04-26 03:24 GMT) Où va l’éducation? 195 métamorphoses de...

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