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CHAPITRE 6 L’identité est une«invention habitable» (ou comment au Pays basque la sociologie contribue à faire, défaire et refaire la vie sociale) Gabriel Gatti1 Université du Pays basque Invité à penser sur l’invention des identités, dans ce texte je vais le faire à travers la réflexion sur les tensions entre la représentation sociologique des identités sociales et les identités sociales elles-mêmes. Autrement dit, je voudrais travailler là où le sociologique connecte avec le social pour affirmer que, dans ce lieu-là, se composent des «inventions habitables», des lieux où construire de l’identité. Étrange complicité celle qui existe entre la sociologie et l’identité, la première construit des représentations pour connaître la seconde, et une fois que ces représentations deviennent vraisemblables, les acteurs sociaux s’y installent jusqu’au point même qu’ils en font leur territoire. Capacité performative , oui, celle de la sociologie, elle différencie, elle naturalise, elle fait les choses visibles et réelles. Elle crée un spectacle compact, car elle permet 1. Uruguayen et sociologue (Universidad Complutense de Madrid) depuis 1992 et Docteur en sociologie (Université du Pays basque) depuis 2002; professeur au département de Sociologie 2 de l’Université du Pays basque (Espagne); coordinateur du CEIC (Centre d’études sur l’identité collective, http://www.ehu.es/CEIC). Il a notamment publié Les nouveaux repères de l’identité collective en Europe (co-éditeur); Las astucias de la identidad (co-éditeur); Las modalidades débiles de la identidad. d’y habiter. Capacité créatrice celle des identités sociales, car elles profitent de n’importe quel matériel à leur disposition pour s’en approprier et s’y installer. Je vais tenter de placer cet imbroglio entre le social et ce qui pense le social dans un coin très singulier de la vieille Europe:le Pays basque et son identité. Là-bas, au Pays basque, l’exercice perpétué de figuration du social mis à l’œuvre par les professionnels de la représentation (historiens, politologues , philologues, travailleurs de la statistique, psychologues sociaux, archéologues, géographes, anthropologues et, bien entendu, sociologues) a dessiné et dessine encore les catégories fondamentales pour comprendre l’identité, performant le tableau où elle est vécue. Tous ces professionnels ont dessiné la carte et les catégories pour comprendre l’identité, catégories qui sont depuis devenues les lieux où elle est expérimentée; ils ont décrit l’identit é et, qu’ils le veulent ou non, ils ont esquissé le tableau où elle est vécue. C’est donc celui de l’identité basque, un lieu pris dans un travail de représentation constant, permanent, spectaculaire même. C’est celui-là un travail qui a façonné un objet singulier – la «basquité» – et qui a bâti le territoire où celle-ci est vécue. J’essayerai d’analyser ce processus à travers l’étude de la petite histoire d’une catégorie, celle de «nouveau basque», celui qui s’agrége à la «basquité» à travers l’apprentissage de la langue basque. C’est une catégorie intéressante, nous trouvons d’abord que «nouveau basque» est à l’origine une codification sociologique; mais nous trouvons aussi qu’à présent, cette catégorie est le nom qu’une partie importante des habitants du Pays basque adoptent pour se définir. C’est en effet un cas d’intérêt pour nous, quelque chose qui naquit dans les laboratoires des scientifiques sociaux est maintenant un refuge pour jouer le jeu de la vie sociale et construire du sens, bref, une invention habitée pour y faire de l’identité2. Pour construire mon argument, je vais revenir tout d’abord sur les traits fondamentaux des affinités qui se posent entre la sociologie et l’identité. Ensuite, j’analyserai les critères employés pour catégoriser la «basquité» et, particulièrement, les «nouveaux basques»; postérieurement je retournerai aux terrains de la théorie pour voir ce que l’on fait pour habiter les représentations construites pour interpréter nos identités, bref pour voir comment fonctionnent les identités en tant qu’«inventions habitables». 136 Génies des lieux 2. Tout ce que je sais de la «basquité» et des «nouveaux basques» est développé en profondeur dans Gatti, 2002. En français, une toute première approche peut se lire dans Gatti, 1999. [3.144.172.115] Project MUSE (2024...

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