In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

C H A P I T R E 10 FRONTIÈRES DE CHINE Délimitation, ouverture et enjeux géopolitiques Sébastien Colin On connaît la Chine : son immensité, sa masse démographique, sa très forte croissance économique et ses nombreuses inégalités sociospatiales. On connaît aussi sa montée en puissance sur les scènes régionales et mondiales ainsi que les craintes et les espérances que celle-ci suscite chez ses voisins et ses différents partenaires. À l’échelle du pays, si l’on connaît bien le développement rapide qui touche les provinces côtières depuis le début des années 1980 et les nombreuses mutations économiques et sociales de ses deux grandes vitrines urbaines que sont Pékin et Shanghai, la situation présente à l’intérieur du pays, notamment en périphérie, le long de ses frontières, pourtant majoritairement ouvertes depuis le début des années 1990 est en revanche moins bien connue. Ainsi, amorcée en 1978, l’ouverture de la Chine ne s’effectue donc plus seulement le long du littoral, même si ce dernier apparaît encore et toujours comme le principal foyer de développement du pays1 . 1. En 2001, les provinces côtières contribuaient encore dans une proportion de 57,5 % au PNB chinois. 214 L’éveil du dragon Avec environ vingt mille kilomètres de frontières, qui la séparent de quatorze États2 , la Chine possède la plus longue enveloppe frontalière terrestre du monde (fig. 10.1), laquelle est aujourd’hui au centre de nombreuses coopérations bilatérales et touchée par de nouvelles dynamiques d’ordre commercial et migratoire. Cette ouverture des frontières marque une nouvelle étape dans la politique d’ouverture graduelle du territoire, mise en place il y a maintenant plus de vingt-cinq ans par le gouvernement central chinois. Après avoir ouvert les provinces littorales sur l’ensemble de l’Asie maritime, péninsulaire et insulaire, avec laquelle le processus d’intégration économique est aujourd’hui très avancé, le gouvernement chinois s’est tourné vers les frontières – autres lieux situés en interface directe avec l’extérieur –, le long desquelles il a autorisé l’ouverture de nombreux postes-frontières, désormais appelés ports de commerce frontaliers (bianjing kou’an). Il a également permis l’établissement de zones économiques frontalières (bianjiang jingji diqu) dans un grand nombre de localités et a délégué certaines responsabilités aux autorités provinciales et locales afin de dynamiser la coopération avec les pays voisins. Cette nouvelle politique frontalière contraste fortement avec ce qu’on observait dans les trois décennies précédentes, au moment où les frontières et les régions riveraines étaient ponctuées par une forte présence de matériels et de personnels militaires. En plus d’être défensive et de représenter une base arrière pour, sinon intervenir, du moins jouer de son influence dans les États frontaliers, cette présence militaire avait pour objectif d’assurer le maintien de l’ordre dans les périphéries du territoire auquel certaines venaient tout juste d’être intégrées. Cette attention du pouvoir communiste était d’autant plus grande que les frontières et les régions frontalières de la Chine avaient toujours été poreuses et difficilement contrôlées par les dynasties impériales. Au côté de cette très forte militarisation, la plupart des marges du territoire chinois furent également soumises à de vastes mouvements de sinisation – ou plutôt de hanisation –, particulièrement durant les deux périodes du Grand Bond en avant (1958-1961) et de la Révolution culturelle (1966-1977). Le passage de la frontière fermée à la frontière ouverte a logiquement nécessité une amélioration des relations entre la Chine et ses voisins. Dans certains cas, pour que l’ouverture et la coopération deviennent efficaces, la Chine exigea que les frontières soient, sinon délimitées et démarquées, du moins pacifiées et en cours de négociations. Ainsi, après une première vague de délimitations frontalières dans les années 1960, le gouvernement chinois s’est engagé dès la fin des années 1980 et durant toute la décennie 1990 dans 2. Il s’agit de la Corée du...

Share