Les transferts massifs d'eau: Outils de développement ou instruments de pouvoir ?

Chapitre 6 : Barcelone et le projet de transfert de l'eau du Rhône

© 2005 – Presses de l’Université du Québec CHAPITRE BARCELONE ET LE PROJET DE TRANSFERT DE L’EAU DU RHÔNE 6 Jean-Paul Bravard Barcelone, une des grandes agglomérations européennes, mobilise les eaux du versant oriental des sierras catalanes pour son approvisionnement . Rencontrant des difficultés périodiques sur le plan quantitatif et des difficultés chroniques sur le plan qualitatif, les acteurs de la gestion de l’eau ont décidé en 1995 d’explorer la solution d’un transfert de 10 à 15 m3/s d’eau du Rhône en prolongeant vers la Catalogne le canal Philippe Lamour qui dessert l’est du Languedoc (projet de transfert LanguedocRoussillon -Catalogne, ou LRC). Majoritairement souhaité par la classe politique catalane et globalement accepté par la région Languedoc-Roussillon, ce projet semble en panne et se heurte à une opposition minoritaire mais déterminée. Soutenu par l’Europe, le projet de transfert LRC soulève en effet des questions multiples. Quels sont les enjeux pour les parties en présence, catalanes et françaises? Quelle est la nature des interférences entre économie, éthique et politique ? © 2005 – Presses de l’Université du Québec 126 Les transferts massifs d’eau 1. L’ALIMENTATION EN EAU DE BARCELONE AUJOURD’HUI ET DEMAIN 1.1. LE SYSTÈME EN PLACE Barcelone est une agglomération qui compte aujourd’hui 4,4 millions d’habitants dont la consommation moyenne est de 113 m3/h/an. Elle est approvisionnée en eau potable avant tout par des eaux de surface qui sont celles de petits fleuves côtiers, le Llobregat et le Ter (325 Mm3 ou millions de m3/an), mais aussi par le pompage des eaux souterraines (175 Mm3/an), soit un volume total de 500 Mm3/an. Le Llobregat écoule en moyenne 650 Mm3/an dont 50 à 70 %, selon les années, sont prélevés (hors industrie) ; il est équipé des trois réservoirs de la Baells, Sant Ponç et la Llosa qui stockent un total de 220 Mm3. Le Ter écoule pour sa part 540 Mm3/an et il fait l’objet de prélèvements à hauteur de 76 à 93 % de son débit en fonction des années. Il est équipé des deux réservoirs de Sau et de Susqueda qui stockent un total de 400 Mm3 ; ces eaux sont transfér ées vers Barcelone depuis 1960. Il est à noter que le volume disponible a nettement diminué pour des raisons climatiques pendant la période 1912-1990, plus particulièrement pendant la décennie 1980-90. À l’heure actuelle, les secteurs de Gérone et de la Costa Brava transfèrent 50 % de leur ressource en direction de la région de Barcelone. L’alimentation du Grand Barcelone est assurée par deux distributeurs d’eau : – AGBAR (Aguas de Barcelona), dont la société française « La Lyonnaise des eaux » possède 30 % du capital, alimente une partie de la ville, en particulier avec l’eau souterraine du delta du Llobregat et avec des achats à ATLL (110 Mm3). – ATLL (Aigües Ter Llobregat) a pour mission de fournir le complément et de gérer l’alimentation de la région de Barcelone ; la création de cette entreprise publique par la Généralité de Catalogne remonte à 1990. Elle fournit au réseau 325 Mm3/an. L’eau est potabilisée à Cardedeu (ATLL), San Joan Despi et Abrera (AGBAR), puis stockée dans deux réservoirs de 620 Mm3 et 500 Mm3/an avant d’être livrée aux abonnés. Un projet de « Grand anneau de distribution » devrait permettre l’interconnexion des usines de potabilisation et des réseaux locaux de Barcelone et de la Costa Brava. Les pertes du réseau sont estimées à 10 %, ce qui paraît peu (figure 6.1). Barcelone et le projet de transfert de l’eau du Rhône 127© 2005 – Presses de l’Université du Québec FIGURE 6.1. La question de l’approvisionnement en eau de Barcelone Source : ATLL (1999). L’approvisionnement des eaux dans la région de Barcelone, CNRS UMR 5600 (2003) ; Plan hydrologique national, ministère de l’Environnement, Madrid. 2 3 1 0 0 1 1 5 m 3 / 3 / s / s 2 2 m3/s 6 m 3 / 3 / s / s Rialb St Pon La Baells La Baell La Pasteral Sau T e e r...