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INTRODUCTION Micheline Labelle Rachad Antonius Georges Leroux Le thème de la mémoire et du pardon s’inscrit dans la remise en question des conceptions étroites de la nation et de la citoyenneté véhiculées par les sociétés coloniales et postcoloniales du Nord et du Sud, remise en question spectaculaire qui a marqué les dernières décennies. Ces conceptions de la citoyenneté mettent au-devant de la scène un nouveau devoir de justice qui s’adresse au passé et interpelle toutes les sociétés désireuses de remettre en question les relations de domination issues du colonialisme, en commençant par identifier et reconnaître l’impact des torts causés et leurs séquelles actuelles. Ce livre porte sur les enjeux théoriques et politiques de l’appel de mémoire, du travail de mémoire, du devoir de mémoire et des politiques du pardon que l’on observe aujourd’hui sur la scène internationale. Il porte également sur plusieurs situations historiques concrètes, au sein desquelles le passé fait retour dans un présent douloureux. Il présente enfin un ensemble de réflexions sur les exigences éthiques et politiques de l’avenir, dans la mesure où elles peuvent être formulées comme responsabilités pour les États. Les politiques du pardon, expression empruntée à l’ouvrage de Sandrine Lefranc (2002), renvoient à un ensemble de discours et de dispositifs politiques et institutionnels (réparations d’ordre symbolique, restitutions matérielles ) et mettent l’accent sur la justice et la reconnaissance de la dignité des acteurs politiques qui ont subi directement ou indirectement la violence d’État ou en représentent les cibles (crimes de masse, assassinats politiques, torture, génocides) et sur le droit à la vérité. Mais ces politiques ne sont 2 Le devoir de mémoire et les politiques du pardon elles-mêmes que la conséquence la plus nécessaire du devoir de mémoire en tant qu’il est toujours déjà un devoir de réparation et de reconnaissance du statut des victimes. À partir de perspectives particulières, nous avons voulu faire une réflexion qui mène à l’universel. Pour les situations traumatiques de l’histoire moderne, nous avons pu compter sur la contribution d’experts et de témoins. L’ensemble des textes qu’on va lire ici ne prétend aucunement à l’exhaustivité, tant l’histoire contemporaine, même la plus récente, est remplie d’injustices et de violences qui ne sauraient être abordées dans un seul projet de compréhension. Mais notre choix nous a permis de présenter certaines situations exemplaires, autant par la souffrance de ceux et celles qui les ont vécues que par les institutions et les politiques mises en place pour affronter l’histoire sans renoncer à en transmettre le souvenir. Des Autochtones d’Amérique à la Palestine, du Chili à l’Algérie, ces situations ont fait l’objet des réflexions de nos invités et c’est dans l’écart toujours problématique entre le général et le particulier que notre colloque a trouvé ses questions les plus fécondes. Peut-on identifier, en effet, en revenant sur les exposés d’ouverture, des questions que nous pourrions considérer comme les formulations d’un paradigme du devoir de mémoire dans lequel toutes les sociétés s’engagent dans le moment ? Ce ne sont pas seulement les sociétés brisées par un traumatisme politique daté qui peuvent ici nous guider, ce sont toutes les sociétés, y compris celles qui portent le lourd atavisme du colonialisme ou de l’esclavage , qui rendent nécessaire l’adoption d’un nouveau regard sur la justice des générations. Le paradigme du devoir de mémoire qui émerge est là pour durer, et c’est au sein de ce paradigme, comme on le voit par exemple en Afrique du Sud, qu’on peut attendre le développement de politiques du pardon ajustées à des situations qui se trouvent désormais au cœur de la mémoire universelle. Ce paradigme n’entend pas, comme certains l’ont fait remarquer, substituer le passé à l’avenir : il est question de maintenir le passé dans la considération de l’avenir, de telle sorte que la justice à venir demeure tributaire de la mémoire de l’injustice du passé. Cette lecture du présent semble la...

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