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ISRAËL Le devoir de mémoire et la politique du déni Rachad Antonius My view is that the historian is a judge, and above all a hanging judge. And therefore I sit in judgment on Israeli leaders. Avi SHLAIM, historien israélien, professeur d’histoire à St. Anthony College, Oxford1 1. Middle East Report no 223, 2002. () [3.15.190.144] Project MUSE (2024-04-23 08:30 GMT) LA PROBLÉMATIQUE DE LA MÉMOIRE, DU DÉNI ET DU PARDON Les questions qui portent sur la mémoire historique en Palestine/Israël posent un énorme défi à qui veut les affronter, tant les enjeux sont grands, les souffrances actuelles, les angoisses profondes, et les sentiments des divers acteurs à fleur de peau. Et pourtant, comment éviter ces questions dans une réflexion sur la mémoire et la souffrance ? Contrairement à bien d’autres situations coloniales, la dépossession des habitants de la Palestine se poursuit encore aujourd’hui et s’intensifie par moments, légitimée par les politiques des gouvernements occidentaux, et avec l’appui militant de certains courants intellectuels tout à fait « respectables ». L’entreprise coloniale ne fait pas partie du passé mais du présent. Il ne s’agit pas de néocolonialisme ou de domination économique , mais d’une entreprise très actuelle de prise de contrôle du territoire et d’exclusion ou d’expulsion de ses habitants pour le bénéfice de gens venus d’ailleurs2. Il s’ensuit que la reconnaissance des torts historiques ne consiste pas seulement en un retour sur le passé, car ces torts historiques sont des processus en cours d’exécution : ils se déroulent en ce moment sous nos yeux. Simultanément et paradoxalement, certains bénéficiaires de cette dépossession se sentent eux-mêmes blessés au plus profond d’eux-mêmes, voire menacés dans leur existence, à chaque tentative des dominés d’affirmer – et de se convaincre – qu’ils ne sont pas tout à fait vaincus. Le résultat est que la société israélienne vit dans un « état de déni », selon les termes de l’historien israélien Ilan Pappe3. Cette situation empêche toute reconnaissance des torts infligés aux Palestiniens, et a fortiori toute demande de pardon et toute réparation. Si la reconnaissance de la mémoire historique et le pardon précèdent logiquement la réparation, ce sont, dans ce cas, les exigences de la réparation qui rendent la vérité historique et le 2. Voir par exemple l’analyse que fait la Cour internationale de Justice de l’effet du Mur sur les droits des Palestiniens, dans Cour internationale de justice (2004), disponible sur son site : . 3. Conférence donnée à l’Université McGill, 22 janvier 2003. Thème repris dans son ouvrage A History of Modern Palestine, One Land, Two People, Cambridge, Cambridge University Press, 2004. 252 Le devoir de mémoire et les politiques du pardon pardon impensables pour les courants dominants en Israël, ainsi que pour les courants politiques, majoritaires dans la diaspora, qui appuient les politiques israéliennes de dépossession des Palestiniens. La question de la Palestine n’est donc pas avant tout un enjeu de mémoire ; mais elle soulève cependant d’énormes enjeux de mémoire. De fait, la légitimité du projet colonial israélien repose presque entièrement sur la nécessité d’oublier et de faire oublier que la majorité de la population palestinienne – près de 60 % (Khalidi, 1991, p. 9) – a été expulsée de ses terres ; que cette expulsion, s’insérant dans un processus complexe, a souvent été violente et que, dans les autres cas, la menace de l’usage de la violence a été très présente ; que plus de 400 villages palestiniens, peut-être même plus de 500 villages, ont été détruits au bulldozer au lendemain de l’établissement de l’État hébreu, après la fin des hostilités, afin de rendre impossible le retour de leurs habitants. Et c’est la version du colonisateur qui nie ces réalités historiques qui permet aux promoteurs de la dépossession des Palestiniens de prétendre à la supériorité morale de leurs positions politiques. Contester cette supériorité morale entraîne immédiatement des accusations d’antisémitisme, comme nous le verrons plus loin. Les interprétations officielles israéliennes de l’histoire...

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