In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

PALESTINE Nostalgie bourgeoise et récits d’exil1 Salim Tamari 1 1. Traduit par Emilie Souyri. [3.138.204.208] Project MUSE (2024-04-19 21:29 GMT) Les témoignages qui sont venus commémorer le cinquantième anniversaire de la Nakba (ce terme, qui renvoie à la guerre de 1948, signifie « calamité » ou « catastrophe » en arabe) en Palestine ont été si nombreux que leurs auteurs aussi bien que leur auditoire en sont restés interdits2. Les premiers parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils avaient attendu si longtemps avant de raconter leurs histoires cachées, les seconds parce qu’ils n’étaient pas parvenus à les expliquer (qu’elles fussent l’expression d’une rétribution divine ou qu’elles aient démontré une incapacité collective à tenir tête à un ennemi supérieur). Ces témoignages, rassemblés pour former une biographie collective de la génération de la guerre, ne représentaient qu’une partie des commémorations . Une « marche du Million » a également été organisée à Ramallah par un certain nombre de partis politiques. Il y eut aussi des récitals de poésie, des projections de documentaires, des créations d’affiches, ainsi que d’innombrables conférences et articles qui tentaient d’analyser le passé et de le réinterpr éter à la lumière du présent. Les témoignages oraux sur la Nakba étaient particulièrement poignants quand ils étaient le fait de témoins oculaires qui avaient vécu la guerre de 1948. Dans l’ensemble, il s’agissait de récits bruts d’événements vécus par ceux qui les racontaient. Les seuls décalages à l’œuvre étaient le prisme probl ématique de leur mémoire et la présence d’un jeune auditoire et de ses appareils enregistreurs. Ces récits se distinguaient des discours intellectuels par leur spontanéité, par leur simplicité et par le fait qu’ils avaient conservé une certaine distance par rapport au monde de l’intelligentsia et à la sphère politique3. 2. Une version plus ancienne de ce texte est parue en arabe sous le titre « Ad-Dhakira alMu ’adhabah », dans Al-Karmel (Ramallah), no 54, hiver 1998. Je remercie Khalil Tuma pour sa traduction en anglais de la première version de cette contribution. La version française de cet article est publiée avec le soutien de l’Institut d’études de l’Islam et des Sociétés du monde musulman (École des Hautes Études en sciences sociales, Paris). 3. Ces observations se fondent sur ma propre participation aux commémorations les plus importantes de la Nakba, qui ont eu lieu en mars, avril et mai 1998 à Ramallah, Jérusalem et Bethléem. Elles furent organisées par le Centre Khalil Sakakini de Ramallah, par le Centre des arts populaires d’Al-Bireh et par les universités locales. Voir« Commémorations des événements de la Nakba : conférences, films et expositions », Ramallah, centre Khalil Sakakini, 1999. 232 Le devoir de mémoire et les politiques du pardon Les narrateurs, pour la plupart illettrés, étaient des gens « ordinaires », qui se sont trouvés impliqués dans les événements, et qui représentaient un large éventail de profils socioéconomiques incluant des catégories marginalisées (conducteurs, combattants, mukhtars, sheikhs, revendeurs, etc.). Le trait principal de ces récits est l’insistance sur la nature dramatique de l’épisode en soi, comme si la guerre elle-même et les déplacements de population qui lui ont succédé ne l’étaient pas assez. Les sièges, les affrontements avec l’ennemi, les combats, les massacres, les martyres et les exclusions sont au cœur de la narration. L’histoire qui suit en est un exemple typique : Quand l’entraînement en Syrie s’est terminé, nous sommes entrés dans le pays par le pont d’Allenby. Nous nous sommes ensuite dirigés vers Jaffa en passant par Ramallah, et puis nous sommes partis vers Yasour. Deux cent quarante combattants de notre groupe se sont rassemblés à Al-Ajami en quatre détachements. Nous avons été témoins de plusieurs escarmouches à Tel-Al-Reesh, d’où nous sommes allés à Manshiyya, où la situation a commencé à se détériorer. Je me souviens d’un groupe de Yougoslaves. Parmi eux, trois chrétiens se sont suicidés à la mosquée de Hasan Bay, chacun ayant demandé à un de ses collègues de lui tirer dessus...

Share