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LES « IMPENSÉS » ALGÉRIENS Du devoir de mémoire à la politique du pardon Abdelmadjid Merdaci [3.149.230.44] Project MUSE (2024-04-23 08:11 GMT) Deux événements sont appelés à marquer l’espace public algérien en 2005. Le premier, ayant déjà fait l’objet d’une spectaculaire annonce, est le « Traité d’amitié » entre l’Algérie et la France ; le second tient en un projet d’amnistie mis de l’avant à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire du 1er novembre 1954. Pour une conjonction remarquable de facteurs – la proximit é du cinquantenaire du début de l’insurrection, la forte charge symbolique du traité d’amitié projeté, la réévaluation stratégique du terrorisme islamiste –, les rapports de l’Algérie tant à son passé colonial et à l’ancienne puissance coloniale qu’à un présent encore marqué par le déchaînement de violence de la décennie 1990, paraissent admissibles, à la réflexion, autant sur les enjeux de mémoire que sur la dimension réparatrice d’une politique du pardon. Les historiens – plus souvent français qu’algériens – ont dressé un tableau qui reste à compléter de l’ampleur exceptionnelle des conséquences de la guerre sur les équilibres de la société algérienne, dont le choc démographique du déplacement de quelque deux millions et demi de personnes , la politique de regroupement dans des camps, l’institution de zones interdites, la destruction de près de huit mille hameaux (Stora et Meurice, 2002), demeurent encore peu évalués sinon passés sous silence dans l’Algérie indépendante alors que les traumatismes de la torture, des viols d’Algériennes, des exécutions sommaires et, singulièrement, de la fracture harkie – supplétifs musulmans de l’armée française – demeurent largement occultés. Ainsi, il n’est pas infondé d’invoquer le concept de « choc destructeur » – sollicité essentiellement par les économistes pour rendre compte des effets de la dépossession des paysans algériens par la politique de colonisation et la répression des armées coloniales – pour qualifier les distorsions du lien social dans la société algérienne et la complexité de sa reconfiguration une fois la paix formellement retrouvée. À peine trois décennies plus tard, c’est cette reconfiguration, sous le sceau de la construction de l’État nation, qui est violemment remise en question par l’insurrection islamiste. Peut-on alors se demander dans quelle mesure l’actualité de la violence politique, si elle peut susciter un désir d’apaisement, en autorise réellement la possibilité ? Des années durant, la gestion autoritaire de la mémoire de la Guerre d’indépendance avait opportunément constitué pour les régimes et les hommes en place un stock symbolique stratégique, à la fois pour la légitimation de leurs pouvoirs et pour la stigmatisation des oppositions, et un instrument de négociation avec l’ancienne puissance coloniale qui excluait 200 Le devoir de mémoire et les politiques du pardon l’examen informé des actes et des responsabilités de nature à rendre possible et utile l’exercice d’un devoir partagé de mémoire et d’esquisser les termes communs d’une politique du pardon. Cette politique était-elle, en effet, imaginable adossée aux censures, aux mensonges d’État et à la falsification du côté algérien, ainsi qu’au poids des amnésies françaises conforté par de généreuses lois d’amnistie ? C’est alors, sous la contrainte de l’urgence, que s’énoncent en Algérie, pour la première fois, les termes de ce qui s’apparente à une « politique du pardon », et cela en liaison immédiate avec la gestion, par le pouvoir d’État, de l’insurrection islamiste engagée au début des années 1990. En 1995, le chef de l’État algérien Liamine Zeroual prend l’initiative de proposer un marché aux islamistes armés, une initiative présentée par le discours institutionnel et les médias comme une politique de rahma, enseigne forcément emblématique dans une société musulmane. La rahma, littéralement « miséricorde », emprunte à l’un des énoncés fondamentaux de l’Islam qui attribue à la puissance divine le monopole du pardon et de la miséricorde – « Inahou ghafouroun rahim », « il accorde le pardon et la miséricorde » – et c’est au nom des intérêts bien...

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