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L’anthropocentrisme et l’art génétique
- Presses de l'Université du Québec
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L’anthropocentrisme et l’art génétique ÉTATS-UNIS George GESSERT L’anthropocentrisme est la croyance selon laquelle l’être humain est le fait ou le but central de l’univers . En art, le principal véhicule de ce genre de croyance est la figure humaine. Bien que la figure ait bien d’autres fonctions – raconter des histoires, explorer la condition humaine, interpeller les sens, faire des sermons, servir de propagande, etc. –, dans le contexte de l’art, elle attire toujours notre attention sur notre propre espèce, au moins en passant. Ce faisant, la figure appuie souvent la croyance que nous sommes le fait central de l’univers ou que nous devrions le devenir. En art, la figure humaine pointe parfois notre attention vers le sacré. Rembrandt suggère le divin par la lumière qui tombe sur ses figures. Léonard situe le Christ au point de fuite de la perspective. Le christianisme s’accommode d’un anthropocentrisme qualifié non seulement parce que le Christ est à la fois homme et Dieu, mais aussi parce que le livre de la Genèse déclare que Dieu a créé l’homme à Son image. Le message est clair: bien que nous soyons inférieurs à Dieu, nous sommes Sa création préférée. Les autres formes de vie ne sont qu’ellesm êmes, des formes inférieures. À l’époque médiévale , le Christ, Marie, et les autres figures humaines George Gessert est diplômé de l’University of California, Berkeley et de l’University of Wisconsin, Madison. Depuis 1985, il pratique un art génétique. Son travail consiste en des techniques d’hybridation sur des fleurs (iris, streptocarpuses et autres plantes). Sur le thème de la biodiversité et de la responsabilité humaine dans les processus de sélection, ses œuvres se présentent sous forme d’installations et de documents relatant ses expériences. Il a été artiste en résidence au San Francisco Exploratorium où il a exposé ainsi que, entre autres, à la New Langton Arts, au Smithsonian Institute, au Lieu Unique (Nantes). Il est éditeur de la section Art et biologie du magazine Leonardo. 150 Art et biotechnologies occupaient une place centrale dans l’art occidental, ce qui pavait la voie à la grande floraison d’anthropocentrisme qui a débuté au cours de la Renaissance pour se poursuivre jusqu’à aujourd’hui. Comme nous le disent les psychologues, chaque bébé croit que l’univers est une extension de lui-même. L’anthropocentrisme prolonge cette croyance jusqu’à l’âge adulte en l’élargissant à des groupes de personnes où à l’ensemble de notre espèce. D’après ce qu’en montre l’art, cependant, très peu de cultures cultivent ce construit infantile au-delà de l’enfance. Les cultures visuelles les plus anciennes dont il nous reste des traces dépeignent, d’une manière accablante , les animaux. Une figure hybride mi-humaine, mi-animale, peut-être chamanique, se trouve à Lascaux. Les figures purement humaines sont aussi très rares dans d’autres cavernes paléolithiques. Cette optique presque exclusivement animalière a duré d’environ 30 000 ans avant notre ère jusqu’à la fin de la dernière glaciation, soit une vingtaine de milliers d’années. Dans les cultures de chasseurs cueilleurs qui ont survécu, comme celles des peuples aborigènes d’Australie, l’imagerie animalière prédomine toujours. Après la venue de l’agriculture, les divinités animales et les composites mi-humains, mi-animaux ont occupé une place centrale dans la plupart des cultures, dont celles de l’Afrique subsaharienne et toutes celles des deux Amériques. L’Égypte et l’Inde avaient un art figuratif très accompli, mais il est toujours resté des divinités animales ou mi-animales au cœur de ces cultures, atténuant ainsi la croyance que l’humain est le but de l’existence. Aujourd’hui, on dit parfois que les figures hybrides telles que le dieu égyptien Anubis, au corps d’homme et à la tête de chacal, sont des précurseurs du collage génétique de la biotechnologie. On peut cependant tout aussi bien considérer les divinités mi-animales, mi-humaines comme des représentations de l’unité de la vie. La Chine a emprunté une voie différente. Là, les arts les plus accomplis étaient la calligraphie et l’art paysager. L’insignifiance des figures humaines dans la plupart des paysages traditionnels...