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De l’éthique du marché à l’éthique de la responsabilité Les nouvelles formes de responsabilité sociale de l’entreprise Jean Pasquero Nous voulons dans cet article brosser à grands traits l’évolution du concept de responsabilit é sociale de l’entreprise (RSE) dans l’histoire du capitalisme, pour déterminer en quoi ses traits actuels sont originaux1 . Notre thèse est que chaque époque sécrète ses propres exigences de responsabilité sociale, mais que toutes s’appuient sur les acquis des périodes qui les ont précédées. Au départ simple initiative individuelle en marge du marché, la responsabilité sociale s’est « socialisée », en ce sens qu’elle a progressivement évolué vers une prise en compte des exigences sociales puis des exigences morales qui se développaient parallèlement dans la société. La RSE se caractérise aujourd’hui par des exigences accrues de professionnalisme . La société attend en effet du gestionnaire qu’il se conduise comme un « professionnel», c’est-à-dire comme un spécialiste exerçant consciemment ses responsabilités tant dans son domaine d’expertise privilégié, la gestion, que dans la qualité des processus qu’il utilise et dans les conséquences que ses décisions peuvent avoir sur autrui et leur environnement. Éthique et gestion en arrivent à se confondre en une seule pratique. C’est sur les différentes dimensions de cette pratique que le gestionnaire moderne est évalué par les parties prenantes avec lesquelles il est en contact. Plusieurs approches sont disponibles pour mettre en valeur les différentes facettes du concept de RSE. Nous avons choisi de replacer ce concept dans le contexte plus général de l’économie politique. Comme ce concept est né aux ÉtatsUnis , et que c’est là qu’il s’y est développé, ce texte portera surtout sur l’expérience nord-américaine. Depuis quelques années cependant, l’Europe s’intéresse elle aussi à la RSE. En peu de temps, combinant son propre héritage aux acquis du modèle 1. Cet essai prolonge quelques thèmes partiellement explorés dans des publications antérieures. Pour alléger le texte et éviter les citations à répétition dans le corps de l’article, les références les plus utiles sont regroupées dans la bibliographie présentée à la fin de ce texte. 36 Responsabilité sociale d’entreprise américain, elle a réussi à rattraper le retard considérable qu’elle avait en ce domaine. On peut soutenir qu’aujourd’hui, les conceptions américaine et européenne convergent sur de nombreux points, d’autant plus que la RSE, sous la pression de plusieurs organismes internationaux, est en train de se mondialiser. Cet exposé s’articule en trois parties. Nous commençons par situer la responsabilit é sociale dans le cadre d’une conception institutionnaliste du rôle de l’entreprise . Nous montrons ensuite qu’il faut retracer les sources du concept de RSE dans les grands débats sur la relation entre efficacité économique et morale qui ont cours depuis les débuts du capitalisme. Nous continuons avec une analyse des composantes de la responsabilité sociale contemporaine, que nous plaçons au cœur d’une nouvelle éthique de la responsabilité, et que nous opposons à l’éthique de marché traditionnelle. Une courte conclusion examine les implications de cette conception pour la gestion moderne, et en particulier pour les défis nouveaux qu’elle pose aux gestionnaires. LA RSE COMME CONCEPTION INSTITUTIONNALISTE DU RÔLE DE L’ENTREPRISE Dans cette section, nous montrons comment le concept de RSE procède naturellement d’une conception institutionnaliste du rôle de l’entreprise. Appelons « demande sociale » l’ensemble des besoins exprimés par une société. Ces besoins sont de deux ordres : matériels et symboliques. Les besoins matériels sont satisfaits par des biens et des services. Les besoins symboliques sont liés aux conceptions de la vie commune en vigueur à un moment donné. Leur variété, leur ordre de priorité, seront différents d’une époque à l’autre, d’un territoire à l’autre. En tant qu’acteur social, l’entreprise est amenée à satisfaire différents éléments de cette demande sociale. Il existe toutefois une tension permanente entre ce que l’entreprise peut ou ce qu’elle veut bien offrir, et ce que la société attend d’elle. Le marché ne pouvant satisfaire l’ensemble de la demande sociale, la société impose ses exigences sociopolitiques à travers...

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