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C H A P I T R E Rien ne sert de nier les émotions, mais… François Audigier Université de Genève francois.audigier@pse.unige.ch 4 [3.145.154.178] Project MUSE (2024-04-19 13:41 GMT) Rien ne sert de nier les émotions, mais… 75 Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point, on le sait en mille choses. Pascal, Pensées Si je connaissais le sens de l’histoire, je n’aurais pas besoin de la raconter. Musil, L’homme sans qualité La vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur, Qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène, Et puis qu’on n’entend plus. C’est un récit Conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, Et qui ne signifie rien. Shakespeare, Macbeth Les émotions, la dimension affective, les sentiments… ? Mais où donc se cachent ces aspects plus ou moins étranges et individuels de la personne humaine, de l’élève, dans une école dont la légitimité, le socle et l’horizon sont la raison ? Que faire avec ces ingrédients qui semblent si souvent faire obstacle à la compréhension en bonne et due forme des savoirs scolaires ? Nous connaissons tous ces discours et ces constructions qui opposent la raison aux émotions, qui déclarent la première universelle et donc seule digne d’attention, qui rejettent les secondes dans les particularismes de l’individu, voire, ce serait déjà une ouverture, dans ceux des cultures. L’école, l’école publique, l’école pour tous se devrait de laisser de côté les dimensions émotionnelles pour ne se consacrer qu’aux activités de l’esprit. Certes, les découpages disciplinaires de l’enseignement indiquent quelques lieux où les émotions et ses compagnes sont autorisées. Mais dans les disciplines dites intellectuelles, en particulier l’histoire, la géographie et l’éducation citoyenne dont il est question ici, le soupçon à l’égard des émotions reste grand. À y regarder de plus près, aussi bien dans les textes officiels que dans le quotidien des classes, ce soupçon est ambigu, le déni est loin d’être total ; si les émotions sont a priori des obstacles, il serait tout de même préférable d’en faire des alliées. Les plus jeunes sont ici mieux servis que les plus âgés. La personne, chaque élève, chaque enseignant, chacun d’entre nous ne se découpe pas si aisément en tranches. Ce que la connaissance distingue, ce que la science sépare et construit pour mieux les isoler et mieux les étudier, la vie les réunit et les tient solidaires. Le très beau titre d’une livraison de la revue Raisons pratiques (1995) qui traite du sujet le dit clairement : La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions. Sans émotions, pas de couleurs à la pensée ; juste du gris, entre le noir et le blanc ! Dans son film Les ailes du désir, Wim Wenders filme le paradis en noir et blanc et le monde des humains en couleurs. 76 Les émotions à l’école Émotions ? Le terme est malaisé à définir. Il se différencie difficilement des humeurs, des sentiments, des jugements, etc. ; il appelle tous ces termes et bien d’autres pour dessiner un univers aux nombreuses ramifications. Nous le considérons ici dans un sens très large sur lequel nous apportons ultérieurement quelques précisions. Avant de ce faire, quatre brèves histoires observées dans les classes et quelques constats plus généraux sur l’enseignement de nos trois disciplines servent d’introduction à notre objet, plus encore à ses ambigu ïtés et à sa fluidité. Précisons d’emblée que les recherches qui font explicitement référence aux émotions et à ses associés dans notre champ disciplinaire sont très peu nombreuses. Nous en rencontrons divers aspects au fur et à mesure de notre exploration. Dans un second temps, nous rassemblons quelques sources pour mieux établir le statut des émotions en faisant également place à des différences selon la discipline et selon l’âge des élèves. Enfin, le déni d’émotion étant chassé et la nécessité de leur reconnaissance établie, nous proposons quelques directions de travail possible avec les élèves, directions où nous retrouvons pour partie nos histoires liminaires. 1. Les savoirs au risque des émotions Commençons...

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