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Chapitre 9_La dynamique de construction d’un programme : Le cas de la géographie au Québec (1998-2001)
- Presses de l'Université du Québec
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C H A P I T R E 9 La dynamique de construction d’un programme Le cas de la géographie au Québec (1998-2001) Suzanne Laurin Université du Québec à Montréal (laurin.suzanne@uqam.ca) 230 Les réformes curriculaires RÉSUMÉ Un ministère de l’Éducation a d’abord une fonction normative, celle de prescrire des programmes qui deviennent la norme à suivre à l’école. Or, des auteurs ont montré la grande difficulté des sociétés démocratiques à définir aujourd’hui cette norme éducative. En prenant appui sur le cas du programme de géographie , l’auteure étudie la tension qui existe entre cette norme en rupture et le dit paradigme socioconstructiviste qui « s’impose » en éducation au Québec. La démarche méthodologique vise à décrire la dynamique de construction d’un programme à partir essentiellement du discours du comité qui l’élabore. Le chapitre comporte quatre parties. Les deux premières concernent l’appropriation de la notion de compétence et la construction des comp étences géographiques ; ensuite, les principales tensions dans le discours argumentatif du comité sont analysées; enfin, un regard critique est posé sur cet épisode de la construction du programme de géographie. [18.232.188.122] Project MUSE (2024-03-28 17:58 GMT) La dynamique de construction d’un programme 231 Comment les responsables de l’élaboration d’un programme « construisent »-ils, en situation, ce qui deviendra la connaissance disciplinaire de référence à l’école ? Cette question met en jeu l’« écart à la norme » qui permet cette construction. En effet, le ministère de l’Éducation a d’abord la fonction normative de prescrire des programmes qui deviennent la norme à suivre à l’école, celle qui sera évaluée et comparée. Or, des auteurs ont montré la grande difficulté des sociétés démocratiques à définir cette norme éducative (Dubet et Martuccelli, 1996). L’école est une institution typique de la modernité démocratique et la rupture du consensus éducatif est désormais une donnée irrévocable (Gauchet, 1985). Aussi, le changement de paradigme évoqué par Jonnaert (2001) s’effectue-t-il dans ce contexte où la norme est plus floue. Dans la réforme des programmes au Québec, il y a donc à mon sens un réel paradoxe à vouloir imposer la « norme du socioconstructivisme » aux enseignants. Comment ce paradigme peut-il devenir une norme en matière d’enseignement et d’apprentissage ? Comment un organisme politique à fonction normative, tiraillé entre plusieurs groupes d’intérêts, peut-il élaborer des programmes dans une perspective socioconstructiviste ? D’ailleurs, le socioconstructivisme peut-il « exister » ailleurs que dans la tête du chercheur ? Cette situation paradoxale incite à étudier comment, en amont de l’école, les personnes responsables de l’élaboration des programmes scolaires construisent cette « norme floue ». Cette construction se prépare par un long travail effectué dans un grand nombre de tensions dont celles entre la politique, où l’éducation est l’enjeu de pouvoir d’un appareil d’État mondialisé, et le politique, où l’éducation est un enjeu humain et civique ; celles entre les contraintes de la réalit é donnée et les obstacles cognitifs que le sujet-acteur doit dépasser dans tout acte de penser (le construit) ; celles entre l’expérience acquise de chaque personne et le projet collectif en développement. Il faut également tenir compte de la distance que plusieurs chercheurs ont d’ailleurs étudiée entre les idées en circulation et la prise de décision dans l’action. À ma connaissance, il n’existe pas d’écrit qui explicite le processus de construction d’un programme de géographie au Québec à partir de l’analyse de la dynamique interne d’un groupe de travail1. L’objectif de ce chapitre est donc de rendre compte de ces conditions d’élaboration, à partir du principe commun à toutes les épistémologies constructivistes : la valeur 1. J’ai collaboré aux travaux du Comité de géographie à titre de consultante de 1998 à 2002. J’ai donc été engagée depuis 1998 dans la démarche collective d’élaboration du programme en même temps que j’adoptais la posture de recherche de l’observation participante. Ce comité était alors composé de trois enseignantes et de deux enseignants du secondaire, d’une conseillère pédagogique, de la rédactrice du programme et de moi-même. 232 Les réformes curriculaires de la connaissance ne peut se...