Manuel de réadaptation psychiatrique

Chapitre 12_Supervision clinique: Un processus de réflexion essentiel au développement de la compétence professionnelle

C H A P I T R E 12 12 12 12 12 Supervision clinique Un processus de réflexion essentiel au développement de la compétence professionnelle Conrad Lecomte, Ph. D. Université de Montréal Réginald Savard, Ph. D. Université de Sherbrooke 316 Manuel de réadaptation psychiatrique RÉSUMÉ L’évolution de la réadaptation psychiatrique en a fait un domaine complexe et exigeant. L’intervenant doit gérer une symptomatologie multiforme tout en tentant de mettre en place un processus d’intervention biopsychosocial pertinent et efficace. Pour se préparer à une telle tâche, plusieurs programmes offrent une formation didactique et une supervision axée sur le savoir et le savoir-faire ignorant l’expérience subjective et l’apport des caractéristiques propres au thérapeute. Trop souvent de telles pratiques reposent sur un postulat d’homogénéité des clients et des intervenants. Même si les recherches soulignent que la variabilité de l’efficacité des interventions est d’abord liée aux caractéristiques des intervenants, la formation et la supervision continuent de privilégier les techniques et les théories. Résultat: l’intervenant n’a pas de lieu de réflexion pour explorer ses doutes et ses réactions, ce qui caractérise pourtant un tel travail clinique. Pour arriver à développer une compétence thérapeutique optimale en réadaptation psychiatrique, nous proposons un processus de formation et de supervision axé sur l’intégration progressive et contextualisée du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. L’objectif fondamental de la supervision devient alors le développement de la compétence à offrir des interventions optimales en s’appuyant sur une conscience de soi réflexive permettant d’arrimer les dimensions objectives et subjectives de l’expérience de soi en interaction. ABSTRACT Psychiatric rehabilitation has become a complex and demanding process with multiple interventions and psychiatric difficulties which vary in complexity from discrete behavioural symptoms to clinical syndromes and to comorbid disorders. Striving to alleviate the pain of psychiatric disorders, beginning and experienced therapists struggle with professional and personal challenges. In order to achieve this goal, most programs offer theoretical and technical training, while failing to take into account the individual therapist’s subjective experience and contribution. Too often, these approaches assume that therapists do not and should not differ in their level of skill or effectiveness with clients. Having no place to share authentic doubts and feelings and often ashamed, therapists may conceal authentic doubts and feelings from their supervisor. We propose that the development of professional competence in psychiatric rehabilitation rests upon an integrative process of knowledge, “know how” and being dimensions of the therapeutic functions. By creating a safe place to think through the facilitation of reflexive self-awareness entailing a constant coordination of the subjective and objective perspectives of self, clinical supervision can then contribute in a meaningful way to the development of the therapist’s ability to provide optimal responses. Supervision clinique 317 1. LA PROBLÉMATIQUE La pratique de l’intervention en réadaptation, en particulier auprès de populations souffrant de troubles mentaux graves, n’est pas sans soulever plusieurs questions. Nombreux sont les intervenants qui rapportent avoir de la difficulté à gérer la gamme des émotions qu’ils vivent au contact de ces clients. Émotions variant de l’anxiété à la dépression, de la colère à l’hostilité. Comment arriver à trouver la bonne distance ? Comment éviter de se réfugier dans une approche distante de gestion de cas ou, à l’inverse, de tenter de trop en faire ? Dans un milieu où la psychiatrie biologique a de plus en plus d’influence, quelle place donner à l’intervention psychosociale (Gabbard, 1992 ; Begley et al., 1994) ? Face à des situations complexes où l’intervenant a l’impression d’avoir tout essayé, que faire ? Quand le doute voire l’incertitude viennent hanter l’intervenant, comment éviter le découragement ou encore le désabusement ? Comment arriver à maintenir et à développer un engagement actif dans le développement de la compétence professionnelle et offrir des services de qualité ? Face à de telles interrogations, chacun à sa manière, selon son histoire, son milieu de travail, ses expériences, sa personnalité, ses valeurs, ses croyances, etc., cherche des réponses. Plusieurs tentent d’obtenir des réponses et du soutien auprès de collègues. Ces consultations se résument souvent à suggérer à l...