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PRÉFACE Luc Bureau© 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Le territoire pensé, Sous la direction de Frédéric Lasserre et Aline Lechaume, ISBN 2-7605-1224-X Je n’ai jamais vu cela un territoir e, ni quand je vivais à la campagne ni depuis que j’habite la ville, ni quand j’étais jeune ni depuis que… Il paraît que, dans les temps lointains, lorsqu’il n’y avait que des bêtes errantes et quelques primitifs pour les occuper, il y en avait beaucoup de territoir es. Le Canada – on pourrait en dire autant de l’Australie – était une des régions du monde les plus riches en territoires ; ces derniers commençaient aux portes de la bour gade de Montréal et s’éternisaient vers l’ouest et le nord, jusqu’où? on ne savait plus. On les appelait les Territoires du Nord-Ouest. Aujourd’hui, il en reste de larges lambeaux, dans le nord du pays, que l’on nomme toujours les T erritoires du Nord-Ouest, où vit une population aussi clairsemée que les cheveux sur la tête d’un chauve. On dit que le taux de naissance y est pr esque le double de la moyenne canadienne. Quoi que j’y fasse, ce sont là les pr emières images qui me viennent à l’esprit lorsque je m’accroche au mot territoire : il s’y trouve beaucoup de vides ; la densité des choses et des êtr es – sauf celle des légendes – y est moins élevée que partout ailleurs. Et puisque le territoir e est plein de vides, il nécessite l’errance afin de se pr ocurer le nécessaire à la survie. Mais il est une dernièr e viii Le territoire pensé© 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Le territoire pensé, Sous la direction de Frédéric Lasserre et Aline Lechaume, ISBN 2-7605-1224-X chose, qu’il me déplaît d’exprimer , dans ma r eprésentation presque instinctive du territoire, c’est son état continu de dépendance. Dépendance qui suppose l’infériorité, la subordination, la tendance au parasitisme. Le territoir e est à un pays ou à un État ce que la banlieue est à la ville, il n’existe que par procuration. Dans sa célèbre Encyclopédie, d’Alembert notait, en tout début de définition, cet assujettissement du territoir e à une autr e chose que lui-même : « Territoire est une certaine étendue de terr ein qui dépend d’une pr ovince, d’une ville, seigneurie , justice, ou par oisse » (article « Territoire » dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert). Ce n’est pas tellement glorieux ; cela nous rappelle encore une fois l’inscription du territoire dans un ordre géographique décroissant : empire, pays, province, région, ville… territoire. Or, voici que notre présent lui donne des ailes. T el le phénix qui r enaît de ses cendres, le territoire, qu’on tentait naguèr e d’évincer en lui substituant un statut et une appellation plus lustrés, se r etrouve partout au centr e des débats. Lui qui était vide se r emplit de mots ; on accole son nom aux choses les plus dépareillées. Il annexe l’Amérique aussi bien que les air es de r eproduction du castor, les terrains d’enfouissement des ordures ménagères et le désert d’Australie, l’Arctique et les fédérations des éleveurs de porcs ; il est tout à la fois « aménagé »,« imaginaire », « ennemi », « local », « désenchanté », « national », « réenchanté »,« urbain », « rural », « linguistique », « culturel »… Un coup d’œil sur Internet permet de juger de la fécondité du terme: 632 000 mentions. C’est beaucoup mieux que le « paysage » qui ne génèr e que 147 000 mentions, que la « banlieue » qui n’en produit que 169 000. Ce qui ne pr ouve rien, sinon que le territoir e est un polyèdre possédant une infinité de faces sur lesquelles chacun dessine ses rêves, ses idéologies, ses nostalgies. Néanmoins, la vogue que...

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