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© 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Le territoire pensé, Sous la direction de Frédéric Lasserre et Aline Lechaume, ISBN 2-7605-1224-X CHAPITRE FRONTIÈRE ET TERRITOIRE UNE SYMBIOSE INCERTAINE Emmanuel Gonon Analyste Observatoire européen de géopolitique 4 Il n’y a rien dans la natur e de plus artificiel qu’une fr ontière politique. Paradoxalement, cette fr ontière apparaît, pour les habitants des pays concernés et bien souvent pour leurs hommes politiques, comme parfaitement naturelle. Pourtant cette limite est loin de constituer un objet aussi« théâtral » que le territoir e qu’elle circonscrit, sans doute par ce qu’elle est fondamentalement une constr uction juridique, la territorialité délimitant les compétences r espectives de deux systèmes étatiques, de part et d’autre de son tracé. 1. LA FRONTIÈRE NATURELLE? Dans une pr oblématique des r eprésentations territoriales, la fr ontière devrait être perçue comme le marquage extrême du territoire, puisqu’elle en symbolise – en théorie – la limite. Cette dernièr e et l’espace qu’elle circonscrit n’ont toutefois pas la même valeur heuristique. Il existe de fait 66 Le territoire pensé© 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Le territoire pensé, Sous la direction de Frédéric Lasserre et Aline Lechaume, ISBN 2-7605-1224-X une différenciation très forte entr e représentation du territoire et représentation de sa limite : alors que la première est ancrée dans le quotidien, la seconde ne pr end bien souvent sa pleine char ge émotionnelle que lorsqu’elle se réfèr e à une limite r evendiquée, à un inaccessible du moment, telle la ligne bleue des V osges qui a mar qué des générations de Français, au-delà de son « existence » historique, entre 1870 et 1914 1. À moins que, comme certaines frontières qui ont traversé le continent europ éen de 1947 à 1991, elle ne soit tr op visible, trop lisible et devienne de même un référent majeur de l’identité nationale. Il naît alors ce qu’on pourrait appeler une «obsession de la frontière » comme une marque trop« marquante » à l’instar d’une DMZ intra-coréenne ou d’une ligne Attila entre les deux portions pour l’instant irréconciliables de l’île de Chypr e. L’acte de tracer fr ontière renvoie, de manière redoutable, au sacré, puisqu’il implique de fair e coïncider les limites territoriales avec un« projet » politique, de r echercher les frontières « tracées par la natur e et réclamées par la raison2 ». Cela nous ramène à la genèse – française – de la notion de frontière naturelle, formalisée à la Révolution : « Les limites de la France sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes, des quatre coins de l’horizon : à l’Océan, au Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées3 ». Le concept est terriblement subjectif, puisque comme le rappelait Patrick McPhee, « La carte de France ne correspond à aucune carte culturelle, que ce soit à l’intérieur de l’hexagone ou le long de ses fr ontières4 ». Le caractère « naturel » des frontières de la France fut explicité par Napoléon III quand il parvint à doter « l’hexagone » de son sixième côté, les Alpes : « En présence de la transformation de l’Italie du Nor d qui donne à un État puissant tous les passages des Alpes, mon devoir était, pour la sûreté de nos frontières, de revendiquer les versants français de ses montagnes5 ». À une autre échelle, le plateau du Mont-Cenis r esta à l’époque à l’Italie (avec la fr ontière à l’aplomb de Lanslebour g), mais fut annexé 1. Par un contresens extraordinaire, la limite en jeu n’était pas la ligne bleue des V osges, sur laquelle r eposait la fr ontière héritée de la défaite française de 1870, mais celle, aquatique, du Rhin, que souhaitait récupér er l’état-major français. 2...

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