Pour une pensée réflexive en éducation

2. Pensée critique et créative

CHAPITRE 2 Pensée critique et créative Christina Slade Université de Canberra, Australie (cms@comserver. canberra. edu.au) RÉSUMÉ Il existe plusieurs difficultés conceptuelles en ce qui concerne les notions de pensée critique et créative, qui sont reliées à la complexité de l'opérationnalisation de ces notions et qui apparaissent lorsqu'on tente d'enseigner les habiletés de la pensée critique et créative. Dans ce chapitre, nous proposons une analyse critique de diverses conceptions de la pensée critique et créative; nous nous pencherons particulièrement sur celle qui est mise de l'avant par Matthew Lipman dans Thinking in Education (Cambridge, 1991), lequel, selon nous, n'arrive pas à établir une différence de nature entre la pensée critique et la pensée créative. Pour notre part, nous soutenons que la distinction entre la pensée critique et la pensée créative en est une de degré et non de nature. Pensée critique et créative 33 Dans l'enseignement, nous rencontrons plusieurs obstacles de nature conceptuelle au regard de la notion de pensée critique et créative qui sont reliés à la complexité de sa mise en oeuvre. Ces difficultés deviennent plus évidentes lorsqu'on examine les outils avec lesquels les chercheurs tentent d'établir l'existence d'habiletés de pensée critique ou créative. C'est pourquoi nous nous attarderons surtout à l'approche de Lipman (1991) développée en Philosophie pour enfants. Nous croyons que la distinction entre la pensée critique et la pensée créative en est une de degré plutôt que de nature. Il importe ici de mentionner que le programme de Philosophie pour enfants a été institué par Lipman aux Etats-Unis, il y a plus de 20 ans et grâce à ce programme, les enfants apprennent à penser et à raisonner en dialoguant avec leurs pairs sur des sujets philosophiques. Pourquoi a-t-on choisi la philosophie? Parce qu'elle est une discipline assise sur la logique des règles formelles de raisonnement - et aborde des thèmes soigneusement développés qui favorisent le raffinement du raisonnement chez les enfants. Il est plus difficile d'avoir une pensée créative dans le domaine de la physique ou celui de l'histoire si, au préalable, on n'a pas suivi plusieurs années d'études. Quant aux questions de philosophie ou de morale, elles peuvent être tout simplement discutées par les enfants. Ces derniers apprennent en effet à développer la structure de leur raisonnement d'une manière créative à l'aide de thèmes choisis qui les intéressent. Évidemment, ce ne sont peut-être pas les enfants qui révolutionneront la philosophie, mais ils ont la capacité d'apprendre à penser et à raisonner d'une manière créative. Les arguments apportés par Lipman (1985, 1991) diffèrent quelque peu à ce sujet même s'il a la conviction que le programme de Philosophie pour enfants développe et améliore les aptitudes critiques et créatives des enfants. Son point de vue présuppose la distinction entre pensée critique et pensée créative. À ce propos, nous présentons une vision empirique et une vision conceptuelle pouvant éclairer la distinction entre la pensée critique et créative . Nous conclurons cette présentation avec des remarques issues des travaux de Lipman. 1. LES TESTS EMPIRIQUES Nous traiterons des tests empiriques à travers un test de raisonnement critique et un autre mesurant les capacités d'une pensée créative. 34 Pour une pensée réflexive en éducation 1.1. UN TEST DE RAISONNEMENT CRITIQUE ET LES APTITUDES DE LA PENSÉE CRITIQUE Les arguments empiriques dépendent radicalement des tests qui sont utilisés. Le test de Shipman sur le raisonnement critique et les aptitudes de la pensée critique (NJTRS) avait pour but d'étudier les effets du premier roman de Philosophie pour enfants : La découverte de Harry Stottlemeier. Ce roman visait à enseigner la logique aristotélicienne et la logique informelle alors que le test avait pour but de découvrir si les enfants pouvaient raisonner. Selon nous, ce test mesure la pensée critique et il ressemble fortement à d'autres tests qui déterminent le quotient intellectuel (QI) comme le Mind Benders (Harnadek, 1978,1979) avec ses tests d'inférence...