In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

MÉDIAS, INFORMATION ET DÉMOCRATIE EN TEMPS DE CRISE Isabelle Gusse Université du Québec à Montréal 164 Communications en temps de crise Depuis le Siècle des lumières, la reconnaissance des droits fondamentaux a pour objet de permettre aux citoyens d'une société donnée de se prévaloir de l'arbitraire ou de l'omnipotence de l'État ou de tout autre acteur social dominant. C'est dans le même esprit que, tout au long du XXe siècle, les grands médias de masse libéraux ont défendu le principe d'une circulation sans entraves de l'information. Par conséquent, ils ont invoqué et réclamé, à chaque fois qu'ils estimaient que c'était nécessaire, le respect de leur liberté de publier - ou de diffuser -, de la liberté d'expression ainsi que du droit du public à l'information. Dans la tradition des grandes idées libéralisatrices du Siècle des lumières, ces droits ont été articulés et défendus en opposition à la politique du secret qui caractérisait les sociétés monarchiques européennes des XVIIe et XVIIIe siècles ou, encore, certaines sociétés dictatoriales ou totalitaires telles qu'elles se sont développées aux XIXe et XXe siècles. Rappelons, de concert avec le sociologue français Alain Touraine (1994), que la reconnaissance et le respect de ces droits fondamentaux constitue, avec la représentativité des élus politiques et la citoyenneté, une des trois composantes interdépendantes de toute société démocratiques. Partant, et pour paraphraser le philosophe allemand Jürgen Habermas, la fonction des médias en démocratie consiste à « publiciser les débats2», au sens de les rendre publics dans l'espace public, et ce,« en toutes circonstances», paix sociale ou temps de crise, espace public abreuvé d'une information plurielle, objective et exacte qui permette à des citoyens responsables de prendre par eux-mêmes des décisions éclairées sur ce qui les concerne en maints domaines de la vie publique, sociale et politique. Mais aujourd'hui, selon nous, cet espace public, perverti par une logique économico-affairiste et financière dominante, ne se pose pas comme un lieu propice aux débats publics et nécessaires à la vitalité et à l'exercice démocratique. De plus, son appropriation par les grands acteurs sociaux qui détiennent le pouvoir économique et industriel a pour effet d'influencer et de déterminer les orientations et décisions émanant du système politique représentatif. En janvier 1998, à l'occasion de la tempête de verglas, l'espace public a été de la sorte dégradé par ces acteurs de manière à ce qu'il ne puisse nourrir aucun débat public. Par ailleurs, en se faisant trop volontiers les 1. Alain Touraine, Qu'est-ce que la démocratie?, Paris, Fayard, 1994, 297 p. 2. Jürgen Habermas, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, Critique de la politique, 1988, 324 p. [18.220.106.241] Project MUSE (2024-04-23 14:29 GMT) Chapitre 16 - Médias, information et démocratie en temps de crise 165 courroies de transmission d'une information très contrôlée par HydroQu ébec, secondée en ce sens par le gouvernement québécois, les médias d'information et leurs artisans les ont tout simplement soutenus dans cette entreprise. Selon nous, il s'agit là d'un dérapage antidémocratique du fait que les droits fondamentaux relatifs à la publicité des débats, à la liberté de la presse et au droit du public à l'information ont été tout simplement négligés par l'ensemble de ces grands protagonistes sociaux et politiques à l'occasion de cette crise. Crises politique, économique, environnementale, météorologique, locale, régionale, nationale ou internationale, de nos jours, la palette des crises qui frappent les sociétés ne manque pas de couleurs. Certains pourront tenter de les hiérarchiser, de dire qu'il est des crises plus importantes ou plus graves que d'autres et soutenir, par conséquent, qu'une crise que traverse un État aux prises avec de grands bouleversements politiques et institutionnels liés à un état de guerre civile ou extra-territoriale, ou à des activités terroristes, ou à de grands mouvements sociaux revendicatifs, est de plus haute intensité en matière de risques pour la sécurité nationale qu'une crise...

Share