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L'HORREUR DU VIDE Antoine Char Université du Québec à Montréal 116 Communications en temps de crise Les médias québécois ont-ils disjoncté lors de la tempête du verglas ? Les dérapages et dérives alimentés par les folles rumeurs ont-ils été aussi nombreux que lors de la crise d'Oka, par exemple ? Le soupçon médiatique marque-t-il systématiquement un recul lors de toute crise, comme l'ont montré le faux charnier de Timisioara en Roumanie en 1989, ou l'« affaire des couveuses » imaginée de toutes pièces par une firme américaine de relations publiques pour faire croire que les soldats irakiens auraient laissé mourir des prématurés koweïtiens en 1990, quelques semaines avant le déclenchement de l'opération « Tempête du désert » ? De tous temps, les dérapages médiatiques ont fait florès. En voici un, plus récent et qui mérite toute notre attention puisqu'il s'agit d'une interruption d'électricité pendant deux heures dans un hôpital. Citons cet extrait d'article d'un grand magazine à ce sujet : L'angoisse monte, au fil des minutes puis des heures d'une panne qui n'en finit pas. Les infirmières, les aides-soignants, les brancardiers s'activent à tâtons dans le noir, s'éclairant parfois avec une lampe coincée dans la bouche. Ils procèdent au sauvetage de patients déjà mal en point. Des médecins et des infirmières se relaient pour actionner à la main des pompes qui ne sont plus alimentées en courant. D'autres, dans l'obscurité, courent d'ascenseur en ascenseur pour vérifier qu'aucun malade n'est resté coincé [...] Vers 3 heures du matin, lorsque la lumière revient, lorsque les gyrophares bleus cessent de tourner entre les pavillons, le personnel, épuisé, est persuadé d'avoir sauvé tout le monde. Une semaine plus tard, il attendait encore de sa direction des informations, peut-être un mot de remerciement, sans même parler de félicitations, après cette nuit invraisemblable. Au lieu de quoi le personnel a découvert dans les journaux, à la télé et à la radio, un bilan effarant. Deux morts lundi, cinq mardi, sept mercredi, dix jeudi1 ! Cela se passait dix mois après notre crise du verglas, au mois d'octobre 1998, à plus de cinq mille kilomètres du Québec, à l'hôpital Édouard-Herriot de Lyon qui a connu une surenchère médiatique de morts pendant cette panne d'électricité. L'information, ciment social de notre société éclatée, a par définition horreur du vide. Cette formule, « l'horreur du vide », se veut évidemment provocante, mais n'a pas pour but de pratiquer le« lynchage médiatique » si cher à certains intellectuels. 1. Le Nouvel Observateur, octobre 1998, p. 46-47, 8-14. [13.59.36.203] Project MUSE (2024-04-24 07:28 GMT) Chapitre 10 - L'horreur du vide 117 10.1. « WHITE NOISE » L'horreur du vide est partagée par tout le monde. Pour les médias, mieux vaut du « white noise », comme disent les Américains pour parler des parasites informationnels, que pas de nouvelles du tout. « No news is bad news », nous rappellent-ils encore. Tout ceci est bien connu. Tout ceci a été dit et redit. Tout ceci fait partie de la critique quotidienne et ad nauseam de la médiasphère. Mais qu'en est-il de l'information en temps de crise quand le citoyen a véritablement besoin de balises pour se retrouver? Deux scénarios se développent rapidement quand éclate une crise, c'est-à-dire un événement imprévisible, un dysfonctionnement inquiétant pour la société : la crise peut être amplifiée par les médias pour mieux en tirer profit dans un système soumis aux exigences du marché ; la crise peut être transformée en une saga émotionnelle avec tous les rebondissements et arcs de tensions propres aux romans-savons. Les deux scénarios ont tendance à surgir naturellement et automatiquement quand une crise éclate. Dans les deux cas de figure, il y a un déficit de communication de la part des pouvoirs institutionnels et un déficit de l'information de la part des pouvoirs médiatiques. Dans les deux cas, le constat est le même : toute crise pervertit le travail de la presse. Toute crise accélère le r...

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