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CHAPITRE 3 LE POUVOIRCOMMEMODÈLE D’INTELLIGIBILITÉ EN SCIENCEPOLITIQUE L’ANALYSE TRATÉGIQUE ET LACOMPRÉHENSION DE L’ACTIONCOLLECTIVE Yannick Chouinard1 Université du Québec à Montréal Le pouvoir constitue l’un des objets privilégiés de la sciencepolitique2 . Cependant, le pouvoir n’est pas seulement un objet d’étude pour les chercheurs, il est aussi considéré comme un modèle d’intelligibilité du social, c’est-à-direun moyen que se donne l’analyste pour mieux expliquer l’organisation « politique » de la société. En ce sens, le pouvoir ne constitue pas seulement l’objet que l’on cherche à comprendre, mais l’outil que se donne le chercheur en sciences sociales pour parvenir à une compréhension du social et du politique. Nous défendrons l’idée selon laquelle le pouvoir défini particulièrement en termes de relations est plus qu’un objet de la science politique, il est un modèle d’intelligibilit é. Cependant, parler de modèle d’intelligibilité, c’est se situer à un certain niveau d’explication. Cela nous distingue de Berthelot par exemple. En effet, parlant de schèmes d’intelligibilité3 , cet auteur situe ce concept au niveau de la construction de la connaissance. Un schème d‘intelligibilité permettrait à un ensemble de théories de fournir des 1. L’auteur tient à remercier Lawrence Olivier, Laurent Lepage, Louis Simard et Christine Bout de l’An pour leurs commentaires. 2. Lawrence Olivier et Guy Bédard. « La science politique :histoire, problématique et science » dans Gilles Labelle et al., Introduction critique à la science politique, Montréal et Toronto,Editions Chenelière et McGraw-Hill, 1996, p. 29. 3. Jean-Michel Berthelot. L’intelligence du social, Paris, Presses universitaires de France, 1990, p. 18-23. 70 Épistémologie de la science politique descriptions correctes de leur objet, c’est-à-dire d’être capable de l’expliquer , de le rendre intelligible logiquement. Ainsi, une même théorie peut être interprétée à partir de la logique causale alors qu’à un autre moment elle pourrait l’être à partir d‘une logique fonctionnelle ou encore structurale. I1 pourrait aussi y avoir la combinaison de plusieurs schèmes. En somme, il s’agit des logiques qui sont sous-jacentes aux théories scientifiques en sciences sociales. Pour notre part, c’est au niveau conceptuel que nous nous situons lorsqu’ilest question de modèle d‘intelligibilité. Les concepts sont consid érés comme des éléments qui « donnent sens » aux faits observés. Concrètement, l’analyste adopte certains concepts qui lui permettent de rendre intelligibles ses observations tout en facilitant la communication de celles-ci. Mais un même concept peut avoir une signification différente d’un auteur à l’autre, c’est le cas du concept de pouvoir. L’utilisation du pouvoir comme modèle d’intelligibilité nous apparaît, par exemple, clairement exprimée par Michel Crozier et ses collaborateurs. Pour ces sociologues, le pouvoir doit être au centre de toute analyse « sérieuse » de l’action collective. La raison est que « [...] l’action collective n’est finalement rien d’autre que de la politique quotidienne. Le pouvoir est sa matière première4». C’est à la suite d’une série d’études « complètement empiriques » et en élaborant une méthode de recherche que Crozier est parvenu à formuler ses premi ères hypothèses sur les rapports de pouvoir. Étant donné que ces rapports de pouvoir constituent le nœud des problèmes politiques d’un contexte organisationnel, la méthode de recherche devait être en mesure d’en établir un diagnostic5. En somme, l’analyse stratégique traduit les interactions humaines par une lecture orientée sur les relations de pouvoir. Ainsi, c’est l’examen des relations de pouvoir entre les acteurs qui permettrait aux chercheurs de parvenir à une compréhension des contextes d’action plus ou moins structurés, c’est-à-dire une unité d’action intelligibledans son contexte à un temps donné. Cela s’explique par le fait que ces relations engendrent des règles et des construits humains plus ou moins permanents et saisissables. Ainsi, ces construits ne seraient pas donnés à l’avance, mais ils doivent être décou4 . Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 25. 5. Michel Crozier, « Comment je me suis découvert sociologue. Réflexions sur un apprentissage qui ne sera jamais terminé », Revue française de science...

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