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5.1 La «spécificité québécoise» : un concept changeant Dans les chapitres précédents, nous nous sommes penchée sur les identités de sexe et «ethnique» (autre que québécoise) mises de l’avant dans l’image du Québec transmise par le corpus de la littérature québécoise traduite en Espagne. À ce stade, il est cependant permis de se demander ce que l’on fait de «l’identité nationale québécoise» dans le transfert d’une littérature dont l’apparition et l’expansion sont étroitement liées à la prise de conscience identitaire nationale. On a beaucoup écrit sur la «nation», aussi bien sur sa réalité que sur l’idée que l’on s’en fait. On reprend habituellement l’idée de Benedict Anderson (1983), pour qui la nation est une communauté imaginaire et imaginée : imaginée comme étant limitée, souveraine et solidaire. Se dire membre d’une nation renvoie donc à l’idée de similitude, de partage d’une même identité nationale, mais cette identité est une construction formée et transformée grâce à un travail de représentation qui se fait par l’intermédiaire de différents récits, y compris la fiction. Les représentations identitaires du «Nous autres les Québécois» dans la littérature canadienne-française, devenue québécoise dans les années 1960, ont changé considérablement au fil du temps. Ainsi, si l’on prend comme point de départ les œuvres de notre corpus, on observe que la représentation de l’identité (idéal-typique) canadienne-française du début du XXe siècle dans Maria Chapdelaine – identité qui tourne autour de trois axes Chapitre 5 Des long-sellers et des best-sellers québécois 234 Le Québec traduit en Espagne idéologiques (Thériault, 1999, p. 125), l’agriculturalisme, l’anti-étatisme et le messianisme1 – a peu en commun avec celle qui s’impose de l’identité québécoise après la Révolution tranquille. En effet, cette identité, dotée d’un contenu politique et rattachée à un espace politique et territorial, est devenue «moderne», américaine, urbaine et industrialisée. On en trouve une illustration dans Le Matou d’Yves Beauchemin. Publié en 1980, ce roman raconte la vie des Québécois moyens lors de leur entrée dans l’univers de la libre entreprise, ou l’American way of life. Or, l’identité nationale québ écoise de cette époque est encore principalement représentée comme étant homogène, sorte de source rassurante de signification, bien délimitée par des frontières nationalistico-linguistiques. C’est principalement à partir des années 1980 (avec l’avènement des écritures migrantes et de la postmodernit é) que l’on assiste à la représentation d’une identité québécoise plus hétérogène, multiple et ouverte à la diversité, une identité en accord avec le monde globalisé actuel. Non seulement le vieux maillot de laine devient démodé, mais la question identitaire elle-même est largement dépassée dans l’imaginaire littéraire. Ainsi, dans des romans de notre corpus des années 1990 comme L’acquittement (1997) et La petite fille (1998) de Gaétan Soucy, même si l’action se situe dans un contexte très typiquement québécois d’avant la Révolution tranquille, la thématique centrale a peu à voir avec les débats identitaires au Québec. Elle tourne plutôt autour d’autres thèmes moins «localistes», tels que la solitude, la mort, la construction de la réalité par la langue, etc. Soucy part donc d’un contexte local qui lui est proche pour le transcender. En quelque sorte, il «universalise» la spécificité québécoise. La thématisation de la langue dans les œuvres littéraires subit une évolution semblable. De la conception de la langue en tant que fondement d’une spécificité que l’on observe dans Maria Chapdelaine, en passant par sa conception en tant que cicatrice, comme élément d’aliénation (d’où la nécessité de créer une langue nationale littéraire propre, le joual), on finit par dépasser la question linguistique (Gauvin, 2004). Comme le constate Gauvin (2004, p. 128) en se rapportant à la littérature québécoise des dernières décennies : L ’identification d’une littérature qu...

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