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CHAPITRE I Le mythe de Babel : toujours en construction Babel possède ainsi une double existence : son histoire a été dite, mais elle continue à se faire1 . Évoquant la confusion et la diversité des langues, le mot babel fait lui-même l’objet de discussions souvent paradoxales sur sa nature et son sens. La conception de ce terme est fondée non seulement sur le récit biblique, mais aussi sur un réseau de significations et de questions pertinentes au mythe de Babel qui s’est tissé au fil du temps. Le texte dans la Genèse est certes à la source du mythe, mais il n’en est que le fondement, d’où est dérivée une panoplie de théories et d’idées liées à la langue, à la ville et à la collectivité, éléments fondamentaux de Babel, faisant partie des connotations qu’il évoque. Pour permettre de dégager les nuances babéliennes tissées en filigrane dans les textes analysés et non pas se limiter aux simples éléments du mythe les plus explicites, il ne suffit pas de ne connaître que le texte biblique. Les nombreuses discussions et interprétations qu’a suscitées le mythe de Babel, dans le domaine de la théologie certes, mais aussi en philosophie et en linguistique, ont contribué au foisonnement de concepts pouvant y être liés. Une certaine familiarité avec les discours touchant à ce mythe est donc essentielle à l’interprétation des textes. Ainsi, dans le but d’éclairer les « matériaux » nécessaires à l’interprétation du mythe littéraire babélien, je discuterai en premier lieu de l’étymologie du mot babel ainsi que de quelques interprétations communément accordées au mythe. Ensuite, il s’agira de dépouiller 24 TOURS ET DÉTOURS les interprétations et les idées principales d’ordres théologique, philosophique, linguistique et littéraire ayant contribué au foisonnement du mythe de Babel. Mais avant de passer à l’étymologie , il est impératif de poser notre regard sur le texte du mythe même. Le récit biblique offre peu de détails sur le peuple et son grand projet, et encore moins sur les intentions de Iahvé. Nous savons que le peuple, qui partageait une seule langue, voulait éviter d’être dispersé en construisant une ville et une tour, et en se donnant un nom. La tour devait être si haute que son sommet atteindrait les cieux. Une question, cependant, demeure : pourquoi les êtres humains voulaient-ils construire une telle tour? Si le texte biblique est muet à ce sujet, les réponses potentielles abondent. L’exégèse judéo-chrétienne a caractérisé le projet du peuple comme un désir de vouloir être comme Dieu, ambition donc orgueilleuse, expliquant ainsi la colère qui aurait poussé Iahvé à disperser le peuple et à mettre fin à la construction. Selon Hubert Bost, les rabbins qui ont composé des commentaires sur la Genèse au début de l’ère chrétienne « assimilent l’entreprise à de l’idolâtrie » (121). Une position plus modeste, selon Bernhard Anderson, serait celle d’exégètes juifs qui voient dans les actes du peuple un désir de se rassembler, alors que Dieu avait commandé aux êtres humains de se multiplier et d’habiter toute la terre (171). Un acte de désobéissance plutôt que d’idolâtrie, la notion d’orgueil est ainsi écartée dans cette dernière interprétation et l’élévation extrême de la tour ne serait qu’un exemple de projet de construction monumental, pour ainsi dire. André Parrot insiste justement sur l’inconséquence entre l’accusation contre le peuple babélien de l’orgueil de son projet et les autres grands exploits humains qui sont, au contraire, célébrés : « Peut-on leur reprocher d’avoir voulu se rapprocher du ciel, c’est-à-dire de leurs divinités ? Voilà le problème. Si oui, alors qu’on soit logique : il faut condamner de la même manière toute initiative de l’homme, les tours de Notre-Dame, les flèches de la cathédrale de Chartres ! » (110). [3.21.231.245] Project MUSE (2024-04-19 10:32 GMT) Le mythe de Babel 25 Mais l’orgueil, l’ambition et le rassemblement ne constituent pas les seules explications possibles du projet babélien. Un autre facteur qui pourrait motiver la construction de la tour de...

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